Après cela, il fut élevé en leur présence, et une nuée le déroba à leurs yeux...Et voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent et leur dirent : Hommes galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ?...Ce Jésus qui a été enlevé du milieu de vous dans le ciel, en reviendra de la même manière que vous l'avez vu y monter.
(Actes 1.9-12)
(Suite 2)
A ces élans d'une piété ardente, le monde sourit et s'étonne.
Les esprits raisonnables nous accusent de sacrifier les choses d'ici-bas aux choses d'en haut, et les autres, les esprits dominés par les doctrines du jour, déclarent que ce sont là des chimères bonnes pour l'enfance des peuples, mais inutiles et même dangereuses à l'heure de leur virilité.
Notre texte répond à la première de ces objections, puisque des anges, au moment où les apôtres se perdent dans la contemplation du ciel, viennent les arracher à cette extase et les renvoyer à Jérusalem, c'est-à-dire au travail et à l'action.
Non, le christianisme n'a pas provoqué une rupture entre l'homme du ciel et l'homme de la terre ; au contraire, il les a unis dans une synthèse supérieure où la foi au ciel devint l'inspiration la plus puissante des activités de la terre.
Je n'ignore pas, cependant, qu'il fut des époques où les hommes pieux, égarés par les sublimes folies de l'ascétisme, cherchèrent à fuir la société humaine, pour vivre dans les déserts et à l'ombre des cloîtres.
Toutefois, même alors, tant la puissance d'action de l'Evangile est incontestable, ces ascètes furent les savants et les civilisateurs de leur siècle.
Pourrait-on oublier sans injustice tout ce que nous devons aux moines du moyen âge :
le défrichement des terres, le soin des pauvres, la protection des faibles, et ces travaux de bénédictins, -- le mot est resté -- qui nous conservèrent, avant la découverte de l'imprimerie, dans des manuscrits admirables, les Saintes Ecritures et les chefs-d'œuvre de l'antiquité ?
D'ailleurs, aujourd'hui, le christianisme a fait ses preuves comme agent de civilisation.
Quand on a vu les nations les plus pénétrées de la sève de l'Evangile être aussi les plus puissantes et les plus ouvertes au progrès, quand on a vu les Eglises les plus ferventes se mettre à la tête des institutions les plus charitables ; quand on a vu les chrétiens de toutes les communions s'efforcer d'établir la justice ici-bas, avant de la voir, régner là-haut, prendre en main toutes les causes généreuses, être partout, eux, les hommes de la foi, les héros de l'action -- un Oberlin, un Garfield, un Livingstone, un Montalembert, un Pasteur, un Jauréguiberry, et cet apôtre féminin, Mme Beecher Stove, dont le livre enflammé fut le coup de clairon de l'émancipation de quatre millions d'esclaves -- alors, elle est tombée cette vieille objection que le christianisme nuit à la vie pratique, car elle a été glorieusement réfutée par les faits.
Mais il nous faut aussi répondre à ceux qui prétendent que l'humanité, sur le seuil du vingtième siècle, n'a plus besoin des chimères de l'autre vie.
Ah ! Je sais bien ce que j'ai à leur dire.
Puisqu'il n'y a pas de ciel, vous avez donc le pouvoir de faire une terre qui soit un paradis ?
Voulez-vous, je vous prie, nous montrer cette terre ?
Avec toute votre science, ferez-vous pour tous un sol « qui distille le lait et le miel », qui soit à l'abri des accidents, des épidémies, des fléaux de toutes sortes ?
Avec vos chartes et vos institutions, parviendrez-vous à établir l'égalité entre les hommes et à supprimer entièrement la pauvreté, ainsi que les vices qu'elle engendre ?
Avec les progrès de cette civilisation dont vous êtes si fiers, trouverez-vous le secret de guérir les misères morales et les infirmités physiques, le plus souvent rançon douloureuse du péché ?
N'y aura-t-il plus d'égoïsme, plus de jalousie, plus de haine d'homme à homme, plus de guerres de classe à classe et de peuple à peuple ?
Réussirez-vous à effacer du vocabulaire humain les noms d'orphelins et de veuves, à bannir de notre planète cet hôte funèbre -- inexorable à tous -- qui s'y promène depuis six mille ans ?
Supprimerez-vous la mort ?
Eh bien, si vous ne le pouvez, respectez donc la loi providentielle qui nous assigne la terre comme préparation, le ciel comme but, la terre comme demeure d'un jour, le ciel comme patrie éternelle.
Que penseriez-vous des insensés qui prétendraient voiler le dôme d'azur dont notre monde est couronné et le radieux soleil qui l'illumine ?
Plus insensés, plus criminels, ceux qui voudraient ravir à l'humanité la divine poésie, ou plutôt, la divine réalité de l'au-delà, sans laquelle la vie ne serait qu'un non-sens, une cruelle ironie et comme un défi jeté à nos misères...
Oh ! Par pitié, que personne ne commette cette forfaiture !...
Et toi, peuple des pauvres et des petits, défends ton patrimoine : repousse les sophismes de ceux qui cherchent à t'arracher, lambeau après lambeau, l'antique foi de tes pères.
Sans Dieu, sans espérance, ni du côté de la terre, ni du côté du ciel, où trouveras-tu la force de souffrir et de vivre ?
Ah ! Je comprends parfois que, du sein de ton désespoir, tu échappes à ta destinée par la porte de sortie du suicide, cette fatale erreur et issue des époques de décadence et d'amer scepticisme...
Et pourtant, ce ne peut être là qu'une épidémie passagère.
Toujours l'âme humaine proteste contre l'obsession du néant.
A l'étroit dans sa prison, elle rêve de l'avenir et veut en soulever le voile.
L'homme fait à l'image de Dieu est le seul être de la création qui ne se sente pas chez lui ici-bas et qui ait la nostalgie de la maison paternelle.
Aussi, malgré les sophismes qui le troublent, il retournera aux vieilles croyances de l'au-delà, dût-il y revenir par le chemin de la superstition.
Ainsi s'explique l'étrange fortune des sciences occultes, du spiritisme, et de toutes les chiromancies de bas étage !
Mais il est une issue meilleure à ces aspirations :
c'est l'Evangile éternel avec ses belles certitudes.
J'ai vu, parfois, au cimetière, l'incrédule s'attendrir et pleurer lorsque, jetant la première pelletée de cette terre qui va recouvrir pour toujours le cercueil de son enfant, j'ai prononcé, selon l'usage de notre Eglise, cette antique parole biblique :
« Le corps retourne dans la poudre d'où il a été tiré ; mais l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné. O mort, où est ton aiguillon, ô sépulcre, où est ta victoire ? »
Cette larme n'était-elle pas une sorte de protestation muette contre l'idée du néant ?
Et nos enfants des écoles du dimanche, quels sont les cantiques qui font éclater la joie sur leurs visages ?
N'est-ce pas ceux qui glorifient les beautés de la Sion éternelle ?
Et les ouvriers des réunions populaires fondées par un apôtre M. Mac-All ?
Tous les éducateurs de ces humbles ne vous diront-ils pas que les récits qui les subjuguent et les hymnes qui les enflamment sont ceux qui les entretiennent de la patrie retrouvée ?
Allez les surprendre, dans leurs réunions du soir, ces hommes au teint basané, aux mains noircies, par le travail, assis à côté de leurs femmes et de leurs enfants.
Quand ils se lèveront pour chanter, de leurs voix mâles et incultes, les cantiques qui résument leurs aspirations et leurs royales espérances :
« De Canaan quand verrons-nous les célestes rivages ? »
ou encore :
« Les chants après les larmes, le trône après la croix ! »
vous vous sentirez tressaillir d'émotion ; et, à ces vibrations de l'âme populaire, vous resterez convaincus qu'il y a, dans tous les cœurs naïfs ou désolés, le rêve de l'infini, une sollicitation passionnée de l'au-delà et comme une ardente prophétie du ciel...
Nous sommes de ceux qui croient au ciel, et c'est bien là que se réfugient nos plus chères espérances.
(Suite & Fin L’ascension de Jésus)