ou l'oeuvre du Fils (Suite)
(Adolphe Monod)
(2ème partie)
« Car c'est lui qui est la propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde. »
(1Jean 2.2)
(...) Gardez-vous de réduire ce grand sacrifice aux proportions mesquines d'une figure ou d'une déclaration ; c'est « une rédemption éternelle, » le sacrificateur, qui est en même temps la victime, « ayant fait par soi-même la purification de nos péchés » (Hébreux 1.3 ; 9.12).
L'Écriture s'en exprime en termes qui n'ont rien d'équivoque ; vous n'avez qu'à comparer entre eux le témoignage qu'elle rend des sacrifices initiaux et celui qu'elle rend de Christ.
D'une part, « il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte les péchés » (Hébreux 10.4), et les sacrifices où ce sang était répandu « ne pouvaient sanctifier la conscience de ceux qui les présentaient » (Hébreux 9.9 ; 10.1-2), de l'autre, « le sang de Jésus-Christ purifie de tout péché » (1Jean 1.7), et « le sang de Christ, qui par l'Esprit éternel s'est offert lui-même à Dieu sans nulle tache, purifiera votre conscience des oeuvres mortes, pour servir le Dieu vivant » (Hébreux 9.14).
Pauvres pécheurs qui m'écoutez, je vous le dis :
Il y a une seule chose au monde qui soit capable d'effacer vos péchés : ce ne sont pas vos pénitences, ni vos oeuvres, ni votre repentance, ni même vos prières, c'est le sang du Fils de Dieu.
Soyez lavés dans ce sang précieux, et « quand vos péchés seraient comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la neige, et quand ils seraient rouges comme le vermillon, ils seront blanchis comme la laine » (Esaïe 1.18) ; mais hors de là, rien ne pourrait effacer la moindre trace du moindre de vos péchés !
Mais c'est peu que je vous le dise ; l'Église universelle vous le dit avec moi : elle n'a jamais su entendre l'Évangile autrement.
C'est une grande chose que la tradition de l'Église, quand cette tradition est générale.
Nul n'a raison contre tous ; et comme l'accord de tous, en matière philosophique, démontre l'existence d'un sentiment gravé, ineffaçablement dans le fond du coeur de l'homme, ainsi l'accord de tous, en matière religieuse, démontre la clarté irrésistible de l'enseignement divin, sur un point que tous y trouvent également.
Eh bien ! Nommez une doctrine plus universellement acceptée dans l'Église, sur la foi des Écritures, que l'est la rédemption.
Je n'irai pas, comme je l'ai fait pour d'autres doctrines, notamment pour la Trinité, en chercher la preuve dans les confessions de foi, anciennes ou modernes : ici, les choses sont si évidentes que nous pouvons procéder plus simplement.
Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil autour de soi : la croix est partout où est Jésus-Christ.
Quelle est l'âme de la doctrine de l'Église primitive ? La croix ;
Selon l'Église elle-même, qui s'en explique par l'organe des saints apôtres ? la croix (1Corinthiens 2.1)
Selon la synagogue, qui se scandalise ? la croix (1Corinthiens 1.23)
Selon la Grèce, qui se raille ? la croix (id.)
Selon Rome, qui s'inquiète et qui persécute ? la croix.
Quel est le symbole de la foi chrétienne ? la croix
Pour la tradition, qui en fait le signe qui détermine la conversion de Constantin ? la croix.
Pour l'art, qui en fait le caractère architectural des Églises chrétiennes ? la croix.
Pour la superstition, qui en fait l'emblème et le témoignage visible de la piété chrétienne ? la croix.
Quel est dans l'Évangile le point de mire qui attire toutes les attaques de l'incrédulité ? la croix .
Le fond commun de la foi des apôtres, des Pères, des Réformateurs, des confesseurs de tous les temps ? la croix.
Le terrain commun de toutes les grandes communions entre lesquelles l'Église chrétienne s'est divisée (romaine, grecque, protestante) ; ou subdivisée (anglicane, luthérienne, réformée) ? la croix.
Quel est enfin le résumé du culte chrétien, des sacrements chrétiens, des convictions chrétiennes, des missions chrétiennes ? la croix, toujours la croix.
Et quand l'Apôtre s'écrie :
« Loin de moi de me glorifier en autre chose qu'en la croix de Christ, par laquelle je suis crucifié, au monde, et le monde à moi » (Galates 6.14),
c'est l'Église entière qui jette par son organe ce cri significatif où elle se réunit comme un seul homme, témoin ses cantiques, ses prières, ses docteurs, ses martyrs, ses combats, ses revers, ses victoires, toute son histoire du commencement à la fin.
Après cela, si nous pouvions jamais rougir de la croix de Jésus-Christ, l'Église universelle rougirait à son tour de nous !
Notre christianisme n'aurait plus de sel, ni notre ministère de sens ! et nous serions les partisans d'un crucifié, au lieu d'être les serviteurs du Dieu vivant !
Ce n'est pas assez d'avoir recueilli la doctrine révélée par l'Écriture et reçue par l'Église sur la mort de Jésus-Christ : il faut en pénétrer l'esprit.
Les doctrines du salut ont deux faces : l'une, divine, absolue, par où elles sont vraies en soi en dehors de nous et au-dessus de nous ; l'autre, humaine, spirituelle, par où elles deviennent nôtres ayant pénétré au dedans de nous par la porte de la foi, et par la main du Saint-Esprit.
Nous venons de contempler la rédemption de Jésus-Christ comme objet de révélation, contemplons-la maintenant comme objet d'expérience, et apprenons comment ce moyen de salut si étrange, éclaire, nourrit, sanctifie l'âme qui s'ouvre pour le recevoir.
« C'est ici la vie éternelle, dit Jésus-Christ, de te connaître, toi le seul vrai Dieu, »
à quoi il ajoute :
« et Jésus-Christ que tu as envoyé » (Jean 17.3),
parce qu'on ne connaît le vrai Dieu qu'en Jésus-Christ :
« nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l'aura voulu révéler » (Matthieu 11.27).
Or, Jésus-Christ ne nous révèle nulle part aussi bien le vrai Dieu que lorsqu'il meurt en sacrifice de propitiation pour nos péchés.
Quiconque se place devant sa croix et la contemple avec foi, trouve dans cette contemplation un cours sommaire de théologie, mais de la théologie la plus haute et la plus populaire tout ensemble.
Je pourrais, si une matière si profonde n'alarmait ma faiblesse, aller jusqu'à dire que la croix de Jésus-Christ jette une lumière obscure sur l'essence même de Dieu, cachée au sein de la Trinité.
J'entrevois, dans Jésus-Christ crucifié, cette unité distincte, cette opposition harmonique qui est le propre de la Trinité prise sur le fait dans le sacrifice du Fils de Dieu (1Jean 1.7 ; 3.8).
Car ici, à la différence de tous les autres sacrifices qui sont offerts par la main de l'homme, c'est Dieu qui offre le sacrifice, mais qui l'offre à lui-même.
Qu'y a-t-il de plus harmonique que le sacrifice ?
Et quoi de plus un que le Père ; livrant son Fils bien-aimé ; et le Fils bien-aimé se livrant lui-même pour sauver l'homme perdu ?
Mais qu'y a-t-il aussi de plus personnel que le sacrifice, et quoi de plus distinct que celui qui l'offre et celui à qui il est offert ?
Je l'entrevois -- oui, mais comme au travers d'un nuage, et ce nuage, je veux le respecter, car il vient aussi de Dieu à sa manière.
Aussi bien, une fois engagé dans ce conseil redoutable du Père, du Fils et du Saint-Esprit, où s'arrêteraient nos questions ?
Est-ce le sacrifice prévu du Fils qui a déterminé le pardon du Père ?
Ou bien est-ce la volonté de pardonner chez le Père qui a déterminé le sacrifice du Fils ?
Ou bien se sont-ils déterminés l'un l'autre à la fois, dans le même temps, je veux dire dans la même éternité ?
Comment se représenter le Père désarmé par le sacrifice du Fils, quand c'est le Père lui-même qui à envoyé son Fils au monde, et qui l'a livré pour nos offenses ?
Mais aussi comment se représenter lé Fils obligé par le Père à se sacrifier pour les pécheurs, quand ce sacrifice est ce qu'il y à de plus libre et de plus spontané :
« Je donne ma vie ; je la donne de moi-même ?... » (Jean 10.18.)
Non, non, arrêtons-nous devant cet abîme ; et venant à des considérations plus à notre portée, contentons-nous de recueillir les leçons que nous donne Jésus-Christ crucifié sur le caractère de Dieu, et plus spécialement sur ses dispositions à l'égard de l'homme pécheur.
C'est là le premier point de toute révélation, mais ce point est obscur et en apparence contradictoire, par ce que l'Écriture nous révèle à la fois de la sainteté de Dieu et de sa miséricorde, l'une qui l'oblige à punir, l'autre qui l'invite à pardonner.
Cette contradiction se déclare sans détour, sans effort de conciliation, dans cette définition étrange que Dieu fait de lui-même au jour qu'il fait passer sa gloire devant Moïse caché dans un rocher :
« L'Éternel, l'Éternel ! le Dieu fort, compatissant, miséricordieux, tardif à colère, abondant en gratuité et en vérité ; gardant la gratuité jusqu'en mille générations, ôtant l'iniquité, le crime et le péché qui ne tient point le coupable pour innocent ; et qui punit l'iniquité des pères sur les enfants, et sur les enfants des enfants, jusqu'à la troisième et à la quatrième génération » (Exode 34.6-7).
Remarquez-vous ce contraste impossible à démêler :
« ôtant le péché, » et « ne tenant point le coupable pour innocent ; » « gardant la gratuité ; » et « punissant l'iniquité ? »
Dans l’Alliance Renouvelée, chacun de ces deux traits du caractère de Dieu, l'amour qui épargne et la sainteté qui frappe, est relevé par une définition à part, que nous empruntons à notre apôtre :
« Dieu est amour » (1Jean 4.8, 16), il est l'amour même, voilà de quoi rassurer le pécheur ; « Dieu est lumière » (1Jean 1.5), il est la lumière, c'est-à-dire la sainteté même, voila de quoi effrayer le pécheur.
Qui donc se chargera de mettre d'accord cet amour et cette sainteté, qui, demandant des choses toutes contraires, semblent condamnées à une guerre interminable ?
La croix de Jésus-Christ l'a fait, et c'est pour résoudre ce redoutable, dirai-je cet insoluble problème, qu'elle a été dressée.
Sur cette croix, le pardon, sollicité par l'amour de Dieu, est hautement proclamé ; mais ce pardon est au prix d'une souffrance dans laquelle est non moins hautement proclamée la peine réclamée par la sainteté de Dieu.
En deux mots, le pardon est un sacrifice, qui, séparant le péché d'avec le pécheur, tout inséparables qu'ils sont, frappe l'un pour épargner l'autre, et met dans une égale lumière l'amour de Dieu et la sainteté de Dieu, en les associant l'un à l'autre, que dis-je ?
En les mesurant l'un par l'autre, puisqu'ils se relèvent mutuellement.
Cherchez par toute la terre la marque la plus grande que vous puissiez trouver de l'amour de Dieu pour le pécheur : vous la trouverez sur la croix de Jésus-Christ, puisque cette croix vous apprend, non seulement que Dieu pardonne au pécheur, mais qu'il est si bien résolu de lui pardonner que, plutôt que de le laisser périr, il frappe en sa place son Fils unique et bien-aimé.
Mais aussi, cherchez par toute la terre la marque la plus grande que vous puissiez trouver de l'horreur de Dieu pour le péché : vous la trouverez encore sur la croix de Jésus-Christ, puisque cette croix vous apprend, non seulement que Dieu punit le péché, mais qu'il est si bien résolu de le punir, que, plutôt que de le laisser impuni, il le recherche dans la personne de son Fils unique et bien-aimé.
Ni la création, ni la providence, ni la terre, ni le ciel, n'ont rien de comparable à la croix de Jésus-Christ pour proclamer que « Dieu est amour ; » ni Éden fermé, ni le Déluge, ni Sodome et Gomorrhe en feu, ni Jérusalem détruite et son temple brûlé, n'ont rien de comparable à la croix de Jésus-Christ pour proclamer que « Dieu est lumière. »
Et, pour surcroît, tout cela est rassemblé dans la même scène, vu du même coup d'oeil, senti dans le même battement de coeur ; -- ô merveille, ô mystère, « ô profondeur ! »
Reconnaissez-le donc : le sacrifice de Jésus-Christ renferme en soi le fond de tout l'Évangile.
La Propitiation ou l’oeuvre du Fils (Suite et Fin)
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