La Foi Réformée, c’est la foi qui veut rendre à Dieu la gloire qui lui est due. La Foi Réformée selon la Parole de Dieu, c’est la foi qui veut tout rendre à Dieu, tout rendre à Jésus-Christ; qui veut que tous les aspects de l’existence et de la pensée humaines soient soumis à celui qui doit tout emmener derrière son char triomphant[1].
C’est la bonne providence de Dieu qui m’a accordé le privilège de travailler avec Pierre Courthial dès l’origine de la Faculté d’Aix, d’être son interlocuteur quotidien pendant son décanat et de rester son ami proche lorsqu’il a pris sa retraite[2].
Comment brosser un tableau juste et satisfaisant de Pierre Courthial ?
Plusieurs ont essayé de le faire en ces pages.
En lisant ces témoignages riches, certes, ainsi que le récit passionnant de la vie mouvementée et complexe de Pierre Courthial, on a vraiment l’impression d’être devant un phénomène impossible à cerner.
Pierre Courthial avait une personnalité débordante de vie, qui impressionnait par sa chaleur, l’acuité de son intelligence, la force de ses convictions, sa spontanéité, son intégrité et par la fidélité sans faille qui, sa vie durant, lui a fait tenir ses engagements.
Tout ce que l’on peut dire de lui n’est que l’ombre de la réalité.
Balzac, en dix pages, aurait à peine réussi à effleurer la richesse de cette personnalité.
Pierre Courthial avait une autorité naturelle dont le sérieux impressionnait.
Dans n’importe quel milieu autre que l’Eglise protestante, où les qualités personnelles sont souvent peu appréciées et même inquiètent lorsqu’elles correspondent à des convictions fortes, il aurait appartenu à l’élite.
Un intellect scintillant, un langage vif et fluide, une vraie générosité envers les autres, un amour de la vérité et un désir de la défendre sans s’écarter du cadre biblique jamais perçu comme un carcan, telles sont quelques-unes des caractéristiques de ce frère.
A cela, il faut joindre un humour qui me plaisait bien; personne plus que lui n’aimait une bonne blague, surtout si c’était autour d’un repas « lyonnais ».
C’est ainsi qu’il m’a recommandé non seulement les labyrinthes de la pensée de Serge Boulgakov, mais aussi Le dîner de c... et, en parlant des affaires ecclésiastiques ou des « apparatchiks » du protestantisme, il faisait référence, avec un clin d’œil, au film Le temps ne fait rien à l’affaire.
Pierre Courthial s’intéressait aux êtres humains dont il était proche, malgré une apparente réserve ; il observait leurs grandeurs, leurs misères et leurs folies.
Il lisait beaucoup, son insatiable curiosité encyclopédique le conduisant dans de nombreux domaines, y compris celui des mathématiques !
« Je suis un glaneur impénitent », disait-il.
C’est sans doute la raison pour laquelle il a été poussé à adopter des idées peu communes, pour un théologien français, sur la théonomie ou le textus receptus.
Il considérait que tout (sauf la vulgarité) appartenait aux richesses de la création et relevait de la grâce commune de Dieu.
Quelques mois avant sa mort, comme je lui rendais une de mes visites régulières, rue Varet, il était toujours capable d’évoquer ce qu’il avait lu dans Etienne Gilson durant les années 1930.
Sa mémoire était étonnante.
Mais derrière cette personnalité tellement attachante, il était impossible de ne pas discerner une tristesse poignante due à l’incompréhension de ses contemporains dans le protestantisme qui ou n’ont pas su le comprendre, ou ont fait la sourde oreille à ses interpellations.
Courthial a suivi la ligne d’Auguste Lecerf, de Pierre Marcel et a partagé le mépris ou/et le rejet qui a été le sort de ses collègues.
Il rappelait que Marcel qui avait été nommé professeur à la Faculté de théologie protestante de Paris a, ensuite, été récusé par le Synode, qui lui a préféré Georges Casalis[3].
Un jour où notre doyen respecté est allé faire, exceptionnellement, un cours à la Faculté de théologie de Montpellier, on s’est moqué de lui !
A-t-il cherché cela ?
En partie peut-être, car Courthial n’était pas tendre envers les institutions.
Pour lui, plus grand était l’appareil, plus grands étaient l’ambition, la fuite dans de fausses sécurités institutionnelles, le recours à la langue de bois et les possibilités de mal agir.
Il a aimé son Eglise – son plaisir n’a duré qu’un instant en 1938 et son chagrin toute sa vie – mais il se méfiait de son institutionnalisme excessif, de ses prétentions pseudo-intellectuelles, dont il parlait parfois librement et sévèrement.
L’unité qu’il affectionnait était plus large, plus spirituelle et correspondait à une vision du Royaume où tout est à Christ partout[4].
Mais que fait-on d’un prophète ?
Car Courthial en était un ; ses avertissements et ses analyses sur le déclin des Eglise réformées se sont confirmés malheureusement d’année en année face à la surprenante politique de l’autruche de ses « grands prêtres ».
On peut mettre un prophète à mort, c’est biblique mais d’un autre temps ; on peut obtenir le même résultat par l’exclusion et la mise à l’index.
Courthial disait parfois, en plaisantant, qu’il était préférable qu’on parle de vous en mal plutôt que de n’en rien dire.
Comment ne pas regretter que les capacités d’un Courthial aient été « mises au placard » dans son Eglise !
Sait-on assez qu’après avoir été le plus jeune délégué au Synode constituant en 1938, il n’a jamais plus été délégué à un synode national de l’Eglise réformée de France ?
Quel dommage ! Il est vrai que Courthial a fini par devenir un ennemi du fameux préambule à la confession de foi votée en 1938, et a reconnu que son adhésion initiale avait été une erreur de jeunesse.
Je l’ai entendu débattre de ce sujet avec Jean Cadier avec lequel il avait beaucoup de points d’accord – tout Calvin ! – mais ce point essentiel les séparait.
Dans une France qui s’est sécularisée à vive allure à partir de 1968 (au revoir les curés !), les convictions de Pierre Courthial rendaient impossibles la reconnaissance et l’utilisation de ses dons ou de ses capacités.
S’il avait vécu au XIXe siècle, Courthial aurait figuré aux côtés des Spurgeon, au XVIIIe des Whitefield, au XVIe, des Calvin, Luther et Bucer, ou au IVe des Athanase.
Au XXe, le christianisme en Europe a connu non pas un réveil, mais un déclin progressif.
Qui voudrait prendre au sérieux un pasteur-théologien qui souhaitait que l’Eglise « se réforme selon la Parole de Dieu » ?
Le plus navrant est que les Eglises réformées en France, dont la sécularisation s’effectuait à un rythme voisin de celui de la société, mais toujours à sa remorque, comme le remarquait Jean Brun, l’ami de Courthial, (ne fallait-il pas sacraliser le monde et séculariser l’Eglise dans l’idéologie du moment ? – et maintenant, c’est fait), n’ont pas été capables de reconnaître, comme cela aurait été souhaitable pour le témoignage des Eglises, le ministère et l’engagement d’un Pierre Courthial.
La théologie de Courthial a pris progressivement ses distances avec les modes du moment, y compris avec la pensée de Karl Barth, qui lui apparaissait comme un crypto-libéral.
Pierre Courthial a donc recherché la communion spirituelle avec le mouvement évangélique naissant en France, avec John Stott et James I. Packer, dont il appréciait la lutte dans l’Eglise d’Angleterre, avec le Mouvement de Lausanne.
Il a largement contribué à l’essor de la revue Ichthus avec Henri Blocher et Marie de Védrines, à la Fête de l’Evangile dans les Arènes de Nîmes…
Lorsqu’il a répondu à l’appel de la Faculté d’Aix en 1973, Courthial a scellé son sort en choisissant de se marginaliser par rapport à son Eglise, tout en restant inscrit sur son rôle.
Avait-il bien mesuré que cela lui mériterait le rejet ou, au moins, une chape de silence sur la nouvelle institution, la politique officielle envers la Faculté dès le début ?
Il a toujours espéré que son geste prophétique serait une interpellation pour son Eglise; c’était là son rêve permanent, qui ne s’est jamais réalisé.
Courthial était lucide en ce qui concerne le pluralisme théologique et les ravages qu’il ferait dans l’Eglise.
En effet, dès lors qu’on accepte que la vérité soit relative, plus aucune limite n’existe dans le domaine doctrinal ou éthique.
Une connaissance objective de la vérité fondée sur l’Ecriture sainte est jugée impossible.
Le pluralisme peut accueillir toutes les conceptions à l’exclusion de celle qui soutient une théologie fondée sur l’enseignement inspiré et objectif de l’Ecriture Sainte, Parole de Dieu.
Pierre Courthial a également été attristé en constatant, dernièrement, que les évangéliques se laissaient trop souvent prendre au même piège.
Il aimait citer la phrase de Benjamin B. Warfield sur la division de l’Eglise :
« Il est impossible de diviser le bois pourri. »
Autrement dit, dans une Eglise atteinte par le relativisme, un schisme a déjà eu lieu par rapport à la vérité.
Courthial pensait que « Le pluralisme tend toujours à détruire la vraie unité plurielle parce qu’il veut mêler en une pseudo-unité non pas des complémentaires divers, cohérents et homogènes, mais des contradictoires, incohérents et hétérogènes.[5] »
En 1974, au moment de la fondation de la Faculté d’Aix, les pluralistes se montraient parfois plus ouverts qu’à présent en nous accueillant, Courthial et moi-même, dans les pages d’Etudes Théologiques et Religieuses, dans un dialogue avec Daniel Lys et Michel Bouttier[6].
Courthial les estimaient fair play ainsi qu’André Gounelle.
Il vaut la peine de relire, aujourd’hui, ces textes car, malgré l’évolution enregistrée par le protestantisme français en quarante ans et les nouvelles fraternisations, le débat – pluralisme ou non ? – reste toujours, en principe, le même.
Ce débat a illustré ce qui est invariable dans les discours des adeptes du pluralisme.
Le pluralisme n’a pas d’arguments probants pour le justifier en dehors de ses « tartes à la crème » qui auraient dépassé la date limite de péremption – la Bible n’est pas la Parole de Dieu car elle est humaine, l’erreur est nécessairement humaine, le relativisme est démontré comme nécessaire car personne ne peut « posséder » la vérité, une foi assurée détruit la tolérance, la foi qui unit l’Eglise est subjective non objective, il faut être pluraliste parce que le salut est universel et patati patata. Que les évangéliques aujourd’hui sachent qu’il n’y a qu’une façon de faire avec le pluralisme doctrinal et ecclésiastique, celle que recommande l’apôtre: « Résistez au diable et il fuira loin de vous. » (Jc 4.7)
Pierre Courthial a bien mis en évidence la démarche des pluralistes qui changent le sens normal des mots bibliques et théologiques.
On pense dire la même chose, alors qu’il n’en est pas ainsi.
A Daniel Lys, il écrivit :
« Vous connaissez sûrement, cher Monsieur et frère, le dialogue entre Gros-Coco et Alice dans Ce qu’Alice trouva de l’autre côté du miroir de Lewis Carroll : ‘Quand moi, j’emploie un mot, déclara Gros-Coco d’un ton assez dédaigneux, il veut dire exactement ce qu’il me plaît qu’il veuille dire… ni plus ni moins… La question est de savoir qui sera le maître, un point c’est tout.’ »
Faisant preuve de son humour habituel, Courthial avait raison.
Dans l’Eglise aujourd’hui, tout le monde prétend énoncer la même chose, mais tel n’est pas le cas, car personne n’ose définir de quoi il est question[7].
Le faire reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore.
Les textes comme La Concorde de Leuenberg dissimulent que la « foi » de l’Eglise du début du XXIe siècle n’a plus que des liens très relâchés avec la foi de l’Eglise de toujours et avec l’Ecriture.
Avec sa perspicacité, Courthial le voyait.
Pourtant, Pierre Courthial faisait preuve d’un optimisme indéfectible.
Il guettait, comme la sentinelle de garde sur la tour, des signes de lumière dans la nuit.
Il se passionnait toujours en apprenant la publication d’un livre de théologie confessante, et se réjouissait des bonnes nouvelles du ministère de tel ancien étudiant.
Il était, il est vrai, de conviction postmillénariste[8].
Dans un certain sens, il avait tort, car je crois qu’il n’y avait rien à espérer là où il attendait, avec tant d’ardeur, le renouveau.
Il espérait toujours contre vents et marées, car il aimait son Eglise qu’il ne cessait pas de considérer, malgré ses infidélités, comme l’Eglise de Christ.
Cette situation se traduisait chez lui par une réelle frustration et par des exhortations en termes acérés :
« Lorsque des Eglises ne sont plus vraiment UNE Eglise dans une confession unanime de ‹la Foi transmise une fois pour toutes›, elles risquent de n’être plus UNE Eglise que par une administration qui ne pourra manquer de s’auto-recruter et d’être centraliste et bureaucratique. Etant alors de moins en moins ‹dispensatrices des mystères de Dieu›, elles seront de plus en plus imprégnées par les modes de penser et d’agir de leur temps. Elles ne pourront manquer d’être de plus en plus intolérantes à l’égard de ceux et de celles qui entendent témoigner, œuvrer et progresser dans la fidélité aux Confessions de foi de l’Eglise des premiers siècles et à celles de la Réformation, toutes soumises à la Parole de Dieu. La liberté de conscience et de confession de la Foi de ces derniers sera bridée, les synodes ne donnant la parole et leurs votes qu’à leurs adversaires. Exclusivement[9]. »
A moins d’être un partisan de l’unité à tout prix, qui pourrait dire aujourd’hui, vingt ans plus tard et soixante-dix après 1938, que Courthial avait tort ?
« Si l’Eglise reprend foi en son Seigneur et en sa Parole, elle est sûre de ne pas être battue. Il pourra y avoir des combats difficiles, des moments redoutables, la mort de certains d’entre nous, des persécutions, des lâchetés comme en commettent trop de chrétiens dans les pays dits libres… malgré cela, Jésus n’abandonne pas son Eglise. Il a toujours un reste fidèle qu’il maintient, et c’est à partir de ce reste fidèle que tout demeure possible[10]. »
Dans ces citations, on remarquera que, pour Courthial, il y a dans l’Eglise visible deux Eglises, une spirituelle qui a droit de cité et l’autre charnelle qui n’est pas de l’Eglise.
On peut ne pas aimer cette réalité, mais il en était ainsi en Israël, dans l’Eglise primitive (Galates 1!) et il en sera de même jusqu’à la fin du monde.
Pierre Courthial nous a rappelé quelles armes utiliser pour le combat.
P.C. n’était pas PC : voilà pourquoi son témoignage n’a pas fini de rayonner.
Paul Wells,
Professeur de théologie systématique,
Doyen de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence,
Editeur de La Revue réformée.
« Allocution prononcée par le doyen Pierre Courthial pour le 10e anniversaire de la Faculté » (1984), [1]La Revue réformée, 46 (1995 : 2-3), 28.
[2] Courthial raconte les débuts de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence dans sa brochure La Foi réformée en France (Aix-en-Provence, Kerygma, 1995), 19-24, dont la lecture permet de redresser certaines erreurs à ce sujet.
[3] La Foi réformée en France, 8.
[4] Voir « L’Eglise instituée et l’Eglise Corps de Christ », in Fondements pour l’avenir (Aix-en-Provence : Kerygma, 1981), en particulier 194.
[5] La Foi réformée en France, 10.
[6] Etudes Théologiques et Religieuses, 49 (1974 : 4), 499-522.
[7] Exemples : l’utilisation des mots « hospitalité », « témoignage commun », « Evangile » ou « évangélisation » constituent des exemples parfaits de ceci dans les discours actuels.
[8] Il croyait à la conversion des juifs et du monde avant le retour de Christ.
[9] « Brève réflexion sur un cinquantenaire », La Revue réformée, 40 (1989 : 1), 52.
[10] « Allocution », La Revue réformée, 46 (1995 : 2-3), 29.
Source : La Revue Réformée
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