Dieu est Amour
Par Adolphe Monod,
« Dieu est Amour »
(1 Jean Ch 4 verset 8)
Dans une petite ville d’Italie que le volcan du mont Vésuve ensevelit, il y a de cela des années lointaines, sous un fleuve de lave, on trouva d’anciens manuscrits brûlés qui ressemblaient plus à des charbons éteints qu’à des livres, et qu’on déploya par d’ingénieux procédés, péniblement, lentement, ligne après ligne, mot après mot.
Supposons qu’un de ces rouleaux d’Herculanum renfermât un exemplaire de notre épître, et le seul qu’il y en eût au monde.
Parvenu au quatrième chapitre et au huitième verset, on vient de déchiffrer ces deux mots :
« Dieu est »,
et l’on ignore encore celui qui doit suivre.
Quelle attente !
Ce que les philosophes ont tant et si vainement cherché, ce que les plus sages d’entre eux ont enfin renoncé à découvrir, une définition de Dieu, la voici donc et la voici de la main de Dieu Lui-même.
Dieu est… que va-t-on nous dire et quel est Il ?
Quel est Il, ce Dieu caché, « qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir, que nous cherchons comme en tâtonnant, bien qu’Il ne soit pas loin de chacun de nous », et qui nous contraint de nous écrier comme Job :
« Oh ! Si je savais comment le trouver ! Voilà, si je vais en avant, Il n’y est pas, et si je vais en arrière, je ne l’y apercevrai point ; Il se fait entendre à gauche et je ne puis le saisir, Il se cache à droite et je ne l’y vois point ? » (Job 23 / 3,8,9)
Quel est Il, ce Dieu puissant, dont une parole a créé tout ce qui est et dont une autre parole peut l’anéantir, « en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être », qui nous tient chaque moment sous sa main, et qui peut faire ce qu’Il lui plaît de notre existence, de notre situation, de notre séjour, de notre société, de notre corps, de notre esprit lui-même ?
Quel est Il enfin, ce Dieu Saint, « dont les yeux sont trop purs « pour voir le mal », que notre conscience nous convainc d’avoir offensé et dont la nature nous révèle vaguement la colère, sans que ni conscience ni nature nous fasse pressentir s’il y a pardon auprès de Lui ; Ce Juste Juge entre les mains duquel nous pouvons tomber après avoir donné ce message, peut être demain, peut être aujourd’hui, ignorants de la sentence éternelle qu’Il nous réserve, et sachant seulement que nous avons mérité qu’elle nous soit contraire ?
Quel est Il ?
Notre repos, notre salut, notre éternité, tout est là ; et je crois voir toutes les créatures de Dieu se pencher sur le Saint Livre, dans l’attente silencieuse et solennelle de ce qu’Il va révéler au monde sur la question des questions.
Voici le mot fatal qui se découvre : amour.
« Dieu est Amour ».
Que pouvait souhaiter de meilleur, que pouvait concevoir de comparable l’imagination la plus confiante et la plus hardie ?
Ce Dieu caché, ce Dieu puissant, ce Dieu saint, Il est Amour.
Que nous faut il de plus ?
Dieu nous aime : que dis je, Il nous aime ?
Tout en Dieu est Amour.
L’amour est le fond même de Dieu ; qui dit Dieu dit amour.
« Dieu est Amour ! »
Oh ! Réponse qui passe toutes nos espérances !
Oh ! Révélation bienheureuse qui met fin à toutes nos anxiétés !
Oh ! Gage assuré de notre félicité présente, future, éternelle !
Oui, si nous pouvons croire ; car ce n’est pas assez que Dieu soit Amour, si nous ne pouvons dire avec saint Jean :
« Nous avons connu et nous avons cru l’amour que Dieu a pour nous ».
L’amour de Dieu ne peut ni nous consoler, ni nous éclairer, ni nous sanctifier, ni nous sauver même, l’amour de Dieu est pour nous comme s’il n’était pas, aussi longtemps qu’il n’a pas été « répandu dans notre cœur par le Saint Esprit » (selon Romain 5/5, l’amour de Dieu, dans cet endroit, c’est l’amour de Dieu pour nous, et non pas notre amour pour Dieu),
et « mêlé avec nous par la foi » (Selon Hébreu 4/2, par la foi, la parole de Dieu pénètre dans notre âme et s’unit à elle, comme les aliments qui entrent dans notre corps s’assimilent à sa substance.)
Créatures spirituelles et responsables, nous possédons le glorieux mais terrible privilège de pouvoir nous ouvrir ou nous fermer à l’amour de Dieu, et par là nous prévaloir ou nous exclure de cet amour, le trésor du genre humain et l’espérance de l’univers.
La foi à l’amour de Dieu, voilà donc le sentiment que je voudrais nous inspirer à tous.
Oh ! Si je pouvais nous renvoyer émus, saisis, pénétrés de cette pensée :
« Dieu est Amour ! »
Seigneur, s’il est vrai que tu es Amour, fais le connaître en conduisant ma plume par ton Amour, et en ouvrant à cet amour le cœur de tout le peuple !
Le véritable amour ne se déclare pas seulement, il se montre ; ou mieux encore, selon une belle expression de saint Jean, il se donne :
« Voyez quel Amour le Père nous a donné ! » (1 Jean 3/1)
Aussi, non content de nous dire qu’Il est amour, Dieu nous l’a prouvé par des marques visibles, par des faits éclatants qui changent cette touchante doctrine en une histoire plus touchante encore.
Ouvrons les oreilles et écoutons, ouvrons les yeux et regardons : il n’en faut pas davantage pour reconnaître que Dieu est amour.
Ces faits, ce n’est pas à la création ni à la vie naturelle que je vais les emprunter.
Non que l’une et l’autre ne soient remplies de l’amour de Dieu, car « L’Eternel est bon envers tous », et « tout ce qui respire loue l’Eternel » (Psaume 145 : 9 & Psaume 150 : 6) ; mais les preuves qu’elle en fournissent seraient insuffisantes pour nous persuader, parce que des marques de colère s’unissent aux marques d’amour dans l’ouvrage du Dieu créateur.
Si la douce chaleur du soleil pénètre la nature de vie et de joie, si des fleuves majestueux font couler dans nos campagnes la fertilité et l’abondance, si l’haleine bienfaisante des vents rafraîchit et purifie l’air que nous respirons, si la terre porte et nourrit à la fois les générations humaines, n’avons-nous pas vu ce soleil se changer en un feu consumant, ces fleuves en torrents dévastateurs, ces vents en tempêtes qui brisent des navires sur nos côtes dans une nuit, et cette terre elle-même, cette terre fidèle, en un sol mouvant qui, dans un jour, dans une heure, dans un moment, engloutit une ville et l’efface de dessous les cieux ?
Si le foyer domestique a des joies si douces, ces tendres épanchements, cette aide semblable à nous, ces autres nous-mêmes en qui nous revivons, cette caresse d’un petit enfant, ce sourire d’une mère, hélas ! N’a-t-il pas aussi des peines cruelles, ces orages du cœur, ces privations de la pauvreté, ces angoisses de la maladie, et tôt ou tard cette mort qui, avant même qu’elle finisse toutes nos joies, les glace toutes vives par la crainte de les voir chaque jour échapper à nos faibles mains ?
Il est vrai que, si nous prenions le soin de démêler ces témoignages contradictoires pour y faire la part du Créateur et celle de la créature, nous trouverions que les marques de colère ne sont point entrées dans le plan de la création, et que l’ouvrage de Dieu, tel qu’il est sorti de Ses mains et qu’il n’a tenu qu’à l’homme de le laisser, resplendissait d’amour comme le soleil de lumière.
Quel amour dans l’œuvre de ces six jours dont chacun, dans le récit de Moïse, se termine par ces mots :
« Et Dieu vit tout ce qu’Il avait fait ; et voilà, il était très bon ! »
Quel amour dans cette lumière des cieux, dans cette terre féconde, dans cet ordre des saisons, dans ces flambeaux du firmament, dans cette multitude vivante qui peuple et qui anime la création tout entière !
Quel amour dans cet homme fait à l’image de Dieu, capable de penser, de parler et d’aimer ; songeons y, quel amour dans cette parole :
« Faisons l’homme à notre image et selon notre ressemblance ! »
Quel amour dans cet Eden, c'est-à-dire dans ce séjour des délices, et dans cette semaine de l’homme partagée, à l’imitation de celle de Dieu Lui-même, entre un travail si facile et un repos si doux !
Quel amour dans cette femme formée d’une côte d’Adam, dans cette union à la fois si tendre et si pure, et dans toute cette félicité naïve qui, tout inconnue qu’elle est pour nous, a laissé dans le fond de notre cœur comme un vague et douloureux souvenir !
Quel amour même dans cet arbre de la science du bien et du mal par lequel Dieu éprouve nos premiers parents, et qui devait, s’ils étaient fidèles, échanger leur innocence enfantine contre une obéissance de réflexion et de liberté !
Ah ! Croyons le, si nous eussions pu interroger Adam avant sa chute, nous aurions entendu sortir de l’abondance de son cœur, nous aurions lu dans chacun de ses regards l’exclamation de notre texte :
« Dieu est Amour ».
Mais c’est d’un autre amour que je veux nous parler, d’un amour dont Dieu vous aime, m’aime aujourd’hui, et nous aime, vous aime tels que vous êtes.
Cet amour, je veux vous le faire voir concentré dans un fait, dans un seul fait qui suffit à notre apôtre, et qui nous suffira également si nous savons le méditer.
« En ceci », poursuit saint Jean développant lui-même sa pensée, « en ceci est manifesté l’amour de Dieu envers nous que Dieu a envoyé son Fils Unique au monde, afin que nous ayons la vie par Lui. En ceci est l’amour, non que nous ayons aimé Dieu, mais que Lui nous a aimés, et qu’Il a envoyé son Fils en propitiation pour nos péchés ».
Mais au moment d’ouvrir cette doctrine pour nous montrer le trésor d’amour qu’elle renferme, une crainte secrète me retient et me gêne.
Je sais qu’il y a ici un prodige d’amour qui a de quoi nous étonner, nous confondre, nous ravir ; mais je crains d’être écouté froidement, hélas !
Et, s’il faut dire toute ma pensée, je crains d’en parler froidement moi-même.
Comme la contemplation journalière de la nature nous a rendus presque insensibles aux beautés dont elle étincelle, ainsi l’habitude d’entendre l’Evangile nous a blasés sur ce don ineffable que toutes les puissances de notre âme sont incapables de sentir et de célébrer dignement.
Pour réveiller l’attention de ses lecteurs, un philosophe de l’antiquité, décrivant les merveilles de la création, suppose qu’elle s’offrent pour la première fois aux regard d’un homme qui aurait passé toute sa vie dans un antre obscur, et recherche les impressions qu’un tel spectacle produirait sur un tel spectateur.
Je veux faire avec vous quelque chose de semblable.
Demandons nous quel effet produirait l’Evangile, c'est-à-dire la Bonne Nouvelle, sur l’âme du non croyant qui l’entendrait pour la première fois, après avoir toujours demeuré jusque là dans les ténèbres spirituelles de sa grossière idolâtrie.
Ou plutôt laissons les hypothèses, et prenons un fait historique.
Les Chrétiens Moraves qui portèrent l’Evangile aux Groënlandais crurent devoir préparer ces esprits à le recevoir, en ne leur parlant d’abord que des vérités générales de la religion, de l’existence de Dieu, de l’obéissance due à ses lois et d’une rétribution future.
Ainsi s’écoulèrent quelques années durant lesquelles ils ne virent aucun fruit de leur travail.
Un jour enfin, les voici qui hasardent de leur parler du Sauveur, et de leur lire le récit de sa passion.
Ils n’eurent pas plutôt achevé que l’un de leurs auditeurs, nommé Kajarnak, s’approche de la table où Beck était assis, et lui dit d’une voix forte, mais émue :
« Que nous dis tu là ? Répète nous cela. Moi aussi, je veux être sauvé ! »
(Cranz, Geschichte Von Groenland, page 490)
Et Kajarnak crut, vécut en Chrétien et mourut dans la paix, prémices bénies d’une abondante moisson.
Dieu est Amour par Adolphe Monod (Suite)
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