L'apôtre exhorte les pères, c'est-à-dire ceux qui, après avoir connu les pieuses impressions du premier âge et les luttes ardentes du second, sont parvenus à cette troisième période qui s'étend des jours de la virilité jusqu'au terme de la vie terrestre.
Dans cette phase nouvelle, le développement chrétien doit changer de nature et s'accomplir plutôt en intensité qu'en surface, plutôt au dedans qu'au dehors.
Il s'agit moins de renoncer au monde extérieur dont les attraits s'émoussent peu à peu, que de renoncer à nous-mêmes et à ce monde de nos propres pensées, de notre propre volonté, où se réfugie notre rébellion.
Il s'agit moins de remporter des victoires éclatantes sur la chair et le sang, que des triomphes obscurs et peut-être plus difficiles sur un secret orgueil, sur un égoïsme opiniâtre, ou sur quelque désobéissance cachée.
Il s'agit non plus d'entrer au service de Christ dans le premier élan de la conversion, mais d'y persévérer jusqu'à la fin, et de garder nos convictions, notre joie chrétienne, notre zèle pour le règne de Dieu, notre amour pour le Seigneur et pour les hommes, comme un trésor intact et vivant, à travers les doutes du siècle, les vicissitudes de la destinée, et les désenchantements de la vie.
Il s'agit de traduire en pratique, en réalité, en fidélité de tous, les jours et de toutes les heures, tout ce que Dieu nous a donné de connaissances et de lumières.
Il s'agit de rendre un constant témoignage à la foi que nous professons, dans la vie publique et dans la vie de famille, ces deux écoles d'application de la piété, et de nous montrer inflexibles dans nos principes, esclaves de notre conscience, et cependant modérés, doux, humbles, patients, serviables, généreux, dévoués.
Il s'agit enfin, dans la sphère la plus intime, celle de nos rapports directs avec Dieu, de demeurer dans son amour, de chercher à lui plaire en toutes choses, de cultiver sa présence par une prière continuelle, de ne pas contrister son Esprit, de discipliner de plus en plus sous sa sainte loi toutes nos pensées, tous les mouvements de nos cœurs, de nous laisser enfin remplir, selon l'expression de saint Paul, de toute plénitude de Dieu.
C'est bien là le troisième âge de la vie chrétienne, caractérisé par cette expression de l'apôtre :
Pères, je vous écris parce que vous avez connu Celui qui est dès le commencement.
Oui, connaître Celui qui est dès le commencement, c'est-à-dire Jésus-Christ
« en qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science »
qui seul est la pleine révélation de Dieu, car il a dit :
nul ne vient au Père que par moi : --
le connaître de cette connaissance, non de l'esprit seulement mais du cœur, qui est une expérience, une vie, un saint commerce de l'âme avec son objet divin, de cette connaissance dont parlait Jésus quand il disait dans sa prière sacerdotale :
« La vie éternelle, c'est de te connaître toi seul vrai Dieu et Jésus-Christ que tu as envoyé ; » --
connaître Celui qui est dès le commencement, pénétrer sur les ailes de saint Jean dans les profondeurs de sa nature divine, méditer à la lumière des évangiles sa parfaite humanité, en se souvenant de cette parole de Saint-Pierre :
« Christ nous a laissé un exemple afin que nous suivions ses traces, »
et de cette autre parole de saint Jean :
« Celui qui dit qu'il demeure en Lui doit vivre comme Christ a vécu ; »
faire reposer toutes ses espérances sur son mystérieux sacrifice, jusqu'à « ne savoir autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ; »--
connaître Celui qui est dès le commencement, sentir tous les autres objets saintement décroître de valeur, d'importance, de beauté, de réalité en regard de cet objet suprême, et par une contemplation toujours plus assidue, aspirer à une ressemblance toujours moins imparfaite ; -- voilà la vraie maturité de la vie spirituelle, voilà le fécond automne qui fait porter au chrétien fidèle les fruits les plus beaux et les plus savoureux, et qui en prolonge jusque dans l'hiver de nos années l'heureuse abondance, selon cette belle parole du Psalmiste :
« Le juste s'avancera comme la palme et croîtra comme le cèdre du Liban...Étant plantés dans la maison de l'Eternel, ils fleuriront dans les parvis de notre Dieu. Ils porteront des fruits jusques dans la vieillesse toute blanche ; « ils seront en vigueur et resteront toujours verts ! » Psaume 92.12-14
Ernest Dhombres,