DONNE-MOI TON COEUR
ou
DIEU DEMANDANT
LE COEUR DE L'HOMME
(par Adolphe Monod)
(Suite de la 4ème partie et fin)
« Mon Fils, donne-moi ton coeur.
(Prov. XXIII, 26.)
Quand Jésus, « fatigué du chemin »et assis près de la fontaine de Jacob , dit à la Samaritaine :
« Donne-moi à boire, »
Quel est celui de vous qui n'envie à cette femme le privilège de pouvoir donner à son Sauveur un verre d'eau froide pour étancher sa soif ?
Mais vous n'aurez rien à lui envier, si, par le don de votre coeur, vous répondez à cet autre « j'ai soif, »plus profond et plus spirituel, qui lui échappe sur la croix où il meurt pour vous.
Quand Jésus dit à Zachée :
« Descends, car il faut que je demeure aujourd'hui chez toi, »
Quel est celui de vous qui n'envie à Zachée le privilège de recevoir son Sauveur dans sa maison et de lui prodiguer tous ses soins ?
Mais vous n'aurez rien à lui envier, si vous ouvrez votre coeur à ce même Sauveur, qui vous dit aujourd'hui :
« Je me tiens à la porte, et je frappe : si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi. »
Quand Jésus succombe sous le pesant instrument de son supplice, qui de vous n'envie à Simon de Cyrène le privilège de porter quelques instants pour son Sauveur cette croix, sur laquelle il va bientôt « porter nos péchés en son corps? »
Mais vous n'aurez rien à lui envier, si vous êtes de ceux dans lesquels il recueille « le fruit du travail de son âme, »et si votre coeur fait partie de ce « butin précieux qu'il partage avec les puissants, pour avoir livré son âme à la mort. »
Et quand ce même Jésus, déjà crucifié et a peine ressuscité, dit à Pierre :
« Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? »
Quel est celui de vous qui n'envie à l'apôtre tombé, mais relevé, le privilège de verser dans les plaies qu'il a faites pour sa part au corps et à l'âme de son Sauveur, « l'huile et le vin »de sa repentance et de son amour?
Mais vous n'aurez rien à envier à l'apôtre lui-même, si, d'un coeur qui vole comme le sien au-devant de la question de son Maître et du vôtre, jaloux de causer quelque joie à celui auquel vous causâtes tant de douleurs, vous pouvez lui dire à votre tour :
« Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime. »
Que s'il y a ici quelqu'un qui sente autrement là-dessus; quelqu'un qui, à la place de la Samaritaine, eût refusé le verre d'eau froide; quelqu'un qui, à la place de Zachée, eût tenu sa porte fermée; quelqu'un qui, à la place de Simon de Cyrène, eût laissé la croix sur les épaules où elle était; quelqu'un qui, à la place de Pierre, eût répondu - autrement qu'il ne répondit
Eh bien ! il ne sera que conséquent avec lui-même en résistant à l'invitation de mon texte, et en continuant de refuser son coeur au Dieu de Jésus-Christ qui le demande.
Le refuser ! et pourquoi ?
Quand vous le lui aurez refusé, ce coeur qu'il demande, qu'en ferez-vous ?
Pensez-y, qu'en ferez-vous?
Car il faut en faire quelque chose; il faut le donner à quelqu'un; quand vous voudriez le garder pour vous seul, vous ne le pourriez pas : à qui donc le donnerez-vous?
Voyez, parlez, expliquez-vous : osez vous lever et me dire en faveur de quel objet plus digne vous dérobez à Dieu ce coeur qu'il réclame ?
0 cieux ! soyez étonnés et séchez d'horreur,dit l'Éternel; car mon peuple a fait deux maux : ils m'ont abandonné, moi la source des eaux vives, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées, qui ne peuvent point contenir d'eau (*28). »
Oh ! que voilà bien notre indigne histoire, que voilà bien le sanglant outrage que nous avions fait par le passé, et que vous feriez vous même au Dieu vivant et vrai si tel est votre refus et rejet !
Avec un coeur qui a besoin de se donner - avec un coeur prompt à se donner à la créature qui le demande - à la créature même qui ne l'a pas demandé - que sais-je?
Peut-être à la créature qui n'en veut pas - vous voici, mendiant, de porte en porte, un asile pour ce coeur, ici déçu, là repoussé, toujours agité et inquiet.
Malheureux ! Et vous avez près de vous le Dieu de Jésus-Christ qui le demande, qui le sollicite, qui l'attend !
Pour expliquer le crime, l'énormité d'un tel renversement, il faudrait une simplicité qui manque à notre christianisme abâtardi.
Qu'un de ces Bassoutos transportés tout à coup « des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie et de la puissance de Satan à Dieu, »dont un pieux missionnaire nous racontait la touchante histoire, me prête sa voix: :
« Dieu a dit au soleil d'éclairer, et il a éclairé il a dit à l'herbe de germer, et elle a germé il a dit aux rivières de couler, et elles ont coulé ; il a dit à l'homme : Aime-moi, et l'homme a refusé d'obéir !»
Mais que fais-je depuis le début de mon texte ?
Je recueille les raisons les plus fortes, je choisis les expressions les plus touchantes, je presse, je conjure.
Qui, et de quoi ?
Dieu, de pardonner à l'homme pécheur et de lui rendre son coeur, trop justement aliéné de nous ?
Non, mais l'homme pécheur de donner son coeur au Dieu de Jésus-Christ; au Dieu dont ce coeur a faim et soif; au Dieu qui nous a donné tout le sien; au Dieu qui semble avoir besoin du nôtre pour compléter sa félicité d'amour.
Eh ! N'est-ce pas prendre un soin superflu ?
Hélas ! craignons plutôt que ce ne soit prendre un soin inutile.
Il y faudrait des raisons plus décisives encore, des expressions plus touchantes encore, des instances et (les supplications plus pressantes encore - on plus d'un de ces pécheurs pour lesquels je parle va sortir d'ici tel qu'il y était entré, répondant à Dieu qui lui dit :
« Donne-moi ton coeur, »
sinon, je ne veux pas, du moins, je ne peux pas, même pensée exprimée seulement avec plus de ménagement; ou bien, ce qui est moins compromettant, lie répondant rien, secouant la prière de Dieu de dessus ses épaules fatiguées, et impatient d'éteindre dans les occupations ou dans les entraînements de la vie la lueur importune qui vient de se faire jour dans le fond de son âme...
Mais non, demeurez.
Nous pouvons ne nous revoir jamais.
Deux mots encore.
Je vous les dis comme un homme qui peut mourir aujourd'hui, a des hommes qui peuvent mourir aujourd'hui.
Sachez du moins qui vous êtes, et connaissez-vous enfin vous-mêmes.
Vous n'avez pas besoin pour cela d'attendre le jugement de la grande journée, où « les livres ouverts »dévoileront le secret des coeurs : c'est un coeur tout dévoilé, tout jugé, qu'un coeur froid pour Dieu.
Encore s'il était froid pour tout; mais non : vif pour tout le reste, vif pour la famille, vif pour le monde, vif pour l'argent, vif pour la convoitise, froid pour Dieu seul.
Froid, c'est trop peu dire : avec le Dieu de Jésus-Christ, l'indifférence ne va jamais seule ; avec ce Dieu vivant, qui seul remplit notre coeur, l'indifférence est folie, avec ce Dieu miséricordieux qui nous a donné son coeur, l'indifférence est ingratitude; avec ce Dieu incarné qui sollicite notre coeur, l'indifférence est impiété point de milieu avec le Dieu de Jésus-Christ, entre l'amour et l'inimitié.
Or, l'inimitié de Dieu, savez-vous ce que c'est ?
C'est l'enfer, tout ensemble prouvé et justifié c'est l'enfer sur la terre, en attendant que ce soit l'enfer dans l'enfer.
« Ennemis de Dieu, » voilà ce qlue vous êtes, je le dis après l'Écriture; reculez d'effroi, si vous le voulez, mais sondez-vous, et vous serez d'accord avec moi.
On est indifférent avec Dieu, pourquoi ?
Parce qu'on est las de son service; las de ses commandements las de ses importunités; las peut-être de son amour.
Cette lassitude, qu'est-elle autre chose que de l'inimitié secrète?
Encore une fois, ennemis de Dieu, voilà ce que vous êtes - je veux dire ce que vous avez été - ce que vous ne voulez plus être - ce que déjà vous n'êtes plus, si je lis bien dans vos coeurs !
Oh ! mon frère, oh ! ma soeur, donnez aujourd'hui au monde, en attendant que vous le donniez à l'univers au jour du jugement, le seul spectacle moral plus beau que celui d'un ange saint qui n'a jamais cessé d'aimer Dieu, le spectacle d'un pécheur, d'ennemi devenu ami; d'un saint Pierre, naguère apostat, à qui Jésus dit :
« M'aimes-tu ? »et qui répond : « Tu sais que je t'aime; »
D'une Marie-Magdeleine, possédée naguère de sept démons, à qui Jésus dit:
« Marie,et qui répond : « Rabboni ! »
Oui, soyez ce saint Pierre, soyez cette Marie : vous le pouvez, si vous le voulez.
L'homme refuse tous les jours le coeur de Dieu, mais Dieu ne refusa jamais le coeur de l'homme.
Ce n'est pas pour le refuser qu'il le sollicite, qu'il le réveille, qu'il le touche : voulez seulement, et vous le donnerez - voulez, et vous l'avez déjà donné...
Entourez-le, cet enfant prodigue reprenant le chemin de la maison paternelle, frères aînés, qui y êtes rentrés avant lui.
« Prévenez-le par amour; », encouragez ses pas chancelants encore !
Surtout, ah ! surtout, épargnez-lui le scandale de votre profession morte, et sachez bien si vous-mêmes avez donné véritablement vos coeurs à Dieu !
Et toi, qui le vois « quand il est encore bien loin, » Père éternel, sors au-devant de lui! et tandis qu'il répand dans ton sein son humble confession :
« Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils,»
qu'il sente battre ton coeur de père contre son mur de fils, et qu'il entende sortir de ta bouche ce cri paternel :
« Mon fils que voici était perdu, mais il est retrouvé ; il était mort, mais il est ressuscité ! »
Amen.
Adolphe Monod,
Pasteur Protestant Réformé
-28. Jér. II, 12.