« Des choses horribles, abominables se passent dans le pays ; les prophètes prophétisent le mensonge, les prêtres font du profit. Et mon peuple aime cela ! Mais que ferez-vous quand viendra la fin ? » (Jérémie 5:30-31)
Par Paul Wells*
Il est une chose assez étonnante aujourd’hui: alors que l’Eglise, en Occident, est malade ou au moins souffrante d’asthénie, les chrétiens ne se préoccupent guère de savoir comment elle a pu en arriver là.
Ils n’arrivent même pas à en faire la diagnose ou à nommer le mal.
Bien au contraire, il semble que tout se passe dans le meilleur des mondes ecclésiastiques possibles, avec un baromètre au beau fixe et un climat établi par l’air du temps.
La chute, en bien des milieux, du nombre des pratiquants, des conversions, des vocations au ministère et des revenus… n’inquiète pas vraiment.
Et même, une certaine suspicion existe à l’encontre des Eglises en développement : n’useraient-elles pas de manipulation où la « dureté » maintiendrait la ligne?
Dans les Eglises francophones "main-line", issues de la tradition de la Réforme, on « fait » dans le sociologique ou le social et, pour se donner bonne conscience, on disserte, parfois, « en intello » sur les questions de société.
Comment imaginer qu’une Eglise puisse devenir une anti-Eglise, alors que le mot, difficile certes, d’apostasie semble impossible à prononcer?1
La modernité avancée relativise et subjectivise toute vérité.
Le summum n’est peut-être pas de ce monde, mais, chacun à sa manière – la communauté chrétienne ou le chrétien lambda pluraliste ou « évangélique » – se réclame légitimement du Christ.
Il serait incorrect de mettre en question la bonne foi du prochain ! On est chrétiens tous ensemble.
Ainsi, un certain mois de novembre par le passé, Gene Robinson, premier évêque ouvertement déclaré gay de la communauté anglicane, a invité ses détracteurs, sur la chaîne CNN, à rendre visite à sa « famille », qui est très morale.
Le langage même assume son sens contraire dans les milieux « chrétiens ».
La moindre remarque ou la plus petite objection constitue une violation du principe absolu de l’amour, le signe d’un sentiment de supériorité spirituelle et d’une mauvaise foi indignes d’un chrétien.
« Ne jugez pas » est pris dans le sens « n’ayez pas la moindre idée négative à propos des autres », comme si la Seconde Partie de la Bible ne recommandait pas d’exercer le discernement théologique.
Pourtant, nos prédécesseurs, A. Monod, dans l’Eglise réformée de France, et C.H. Spurgeon, au moment de la « régression » (downgrade) de l’Union baptiste en Angleterre au XIXe siècle, ou J.G. Machen, le fondateur du Westminster Seminary, qui s’est opposé aux modernistes dans l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis, nous ont avertis.
Dans son livre Christianisme et libéralisme (1923), où il montre magistralement que le christianisme et le libéralisme sont deux religions différentes, Machen écrit :
« L’Eglise aujourd’hui a été infidèle à son Seigneur en admettant en son sein des compagnies de non-chrétiens, non seulement pour en être membres, mais aussi pour y être enseignants. Ils dominent les conseils et fixent l’enseignement de l’Eglise… Une séparation des partis est le grand besoin de l’époque. »
Cet ouvrage n’a rien perdu de son actualité près d’un siècle plus tard, car le libéralisme moderne reste étonnamment fidèle à lui-même, même si les dérapages éthiques d’aujourd’hui, qui touchent les évangéliques, tout comme le Protestantisme, appartiennent à un autre monde que celui des « vieux » libéraux.
Combien, dans le Protestantisme, oseraient s’exprimer en 2004 avec la même rigueur que Machen sur l’état de l’Eglise, la théologie ou les problèmes éthiques?
I. Une définition
« A parler simplement et rigoureusement, la véritable apostasie est celle par laquelle on renonce à la foi. »2
L’apostasie est donc le fait de se situer en dehors de la foi chrétienne confessée jusque-là3.
« La bonne conscience, certains l’ont abandonnée et ont ainsi fait naufrage en ce qui concerne la foi. » (1 Tm 1:19)
Elle se situe au bout d’un chemin en pente descendante le long duquel une simple erreur se transforme en hérésie et se cristallise en désaffection généralisée vis-à-vis de la foi.
L’hérésie porte le plus souvent sur une doctrine particulière – le statut de l’Ecriture, la christologie ou la Trinité, par exemple -, alors que l’apostasie est un reniement global de la doctrine apostolique.
La blessure spirituelle qu’est l’hérésie se transforme en gangrène.
Selon J. Owen, dans son tract La nature et les causes de l’apostasie de l’Evangile (1676), l’apostasie suscite le plus souvent des habitudes ou des attitudes dues au péché ou à l’erreur4.
Elle infecte non seulement la pensée, mais toute la vie, au point qu’on ne peut plus parler du salut qu’avec une extrême prudence.
Dans le dictionnaire des antonymes chrétiens, « apostasie » est l’opposé de « pureté ».
L’Eglise, on le sait, a pour signe et pour vocation de manifester la sainteté :
« Soyez saints, car moi, l’Eternel, je suis saint », telle est l’exhortation qui jalonne toute l’histoire de la rédemption.
Pensons, par exemple, aux prophéties bouleversantes de Jérémie !
Les individualistes que nous sommes, s’ils conçoivent assez aisément la sanctification au plan personnel, l’imaginent bien moins à propos de la collectivité.
D. Bonhoeffer en a, cependant, donné une belle illustration dans son livre De la vie communautaire, et il a eu le courage de mettre son modèle en pratique.
Par analogie, on admet que « le monde » et « la chair » sont les ennemis de l’Eglise ou du chrétien ; l’hérésie est ce qui se produit lorsque ces ennemis entrent et s’installent dans le camp, et l’apostasie ce qui arrive lorsqu’un rebelle aide l’ennemi.
Pour Augustin, les premiers « apostats » sont Adam et Eve et la race humaine est devenue apostate par nature, à cause de leur faute5.
Dans l’Apocalypse, l’expression « synagogue de Satan » (Ap 2:9 et 3:9) est utilisée pour décrire une communion dont les pratiques et les doctrines sont contraires à la vérité.
II. Des individus et pas des Eglises?
Il est aisé de parler d’apostasie à propos d’un individu; chacun connaît, en effet, l’histoire d’Esaü, celle de Judas, ou les noms d’Hyménée et Alexandre (1 Tm 1:20)6.
Il en va tout autrement s’il s’agit d’une Eglise.
Peu de textes ont été écrits à ce sujet7.
Pourquoi ?
Les Eglises en seraient-elles à l’abri ? Ou bien, pour diverses raisons – pudeur, souci de tolérance, crainte du sensationnalisme, etc. -, préférerait-on se taire ?
Le formalisme est un piège pour toutes les religions, ainsi que la tendance à défendre l’institution, qui sécurise de plusieurs manières.
Dans l’Ecriture, l’apostasie du peuple de Dieu est un thème permanent: de l’incident du veau d’or jusqu’à la parole de Jésus « ainsi avez-vous fait des prophètes… » et à la description, faite par Paul en Romains 9-11, de la situation du peuple juif.
L’histoire de l’Alliance est celle des désertions et des trahisons, non pas d’individus isolés, mais du peuple entier.
Christ n’a-t-il pas eu à souffrir de l’abandon des siens dans l’isolement progressif qui a été le sien entre Gethsémané et Golgotha ?
Après la Pentecôte, l’Eglise chrétienne s’est-elle améliorée grâce à l’effusion de l’Esprit ?
Apparemment non, car les croyants restent des pécheurs et sont toujours susceptibles d’orgueil et de ressentiments humains.
Des sept Eglises de l’Apocalypse, deux seulement ont un bilan de santé positif8.
Notre lumière serait-elle plus brillante au XXIe siècle que celle des chandeliers du Ier siècle ?
Ne serait-ce pas, pour avoir négligé les avertissements de l’Ecriture quant au risque d’apostasie, que le christianisme est si affadi en Occident ?
III. Les étapes de l’apostasie
Irénée dit, quelque part, que l’erreur se pare toujours d’habits magnifiques pour avoir l’air plus vraie que la vérité.
Comme le péché, elle a une apparence agréable et semble désirable.
La relativisation de la gravité de l’erreur est la première étape vers l’apostasie.
Un arbre d’Inde, le taxus, produit du fruit la première année de sa maturité, des feuilles la deuxième et du poison la troisième.
De même, le péché, après avoir pris racine chez un individu ou dans un groupe, n’a que trop tendance à s’aggraver.
Des « bilans globalement positifs », l’autojustification personnelle ou institutionnelle, s’accordent peu avec la vision biblique de la communion chrétienne.
La Seconde Partie de la Bible donne quelques indices du comment de la progression de l’apostasie au sein du peuple de Dieu.
J. Owen considère cet enseignement comme prophétique, les développements de l’histoire de l’Eglise le confirmant.
Voici, selon lui, les étapes de l’apostasie :
-
des faux prophètes s’élèveront (Mt 24:9; 2 P 2:1);
-
des loups pénètrent dans l’Eglise pour dévorer le troupeau (Ac 20:28);
-
les chrétiens deviendront froids et ne supporteront plus la saine doctrine (2 Tm 3:1-9; 1 Tm 4:1-3).
A noter l’ordre suivi dans l’éclosion des « fleurs du mal » de l’apostasie: les erreurs, les faux prophètes, les « loups » et une froideur spirituelle généralisée.
Tout comme il est possible de distinguer un chrétien fidèle d’un chrétien dont la foi dévie et d’une personne qui renie sa foi, serait-il possible de discerner les différentes sortes d’Eglises ?
Les lettres aux sept Eglises de l’Apocalypse (chapitres 2 et 3) sont d’une grande aide.
On y voit décrits trois types de communautés, que l’on pourrait classer respectivement en Eglises de résistance, de compromis et de dérapage:
1. Résistance |
2. Compromis |
3. Dérapage |
Smyrne |
Pergame |
Sardes |
I) Fidèle: |
Oui, mais tolérance |
Tu es mort |
II) Pauvreté: |
Oui, mais adaptation |
Des œuvres qui |
III) Victoire par le |
Des Oeuvres bonnes, |
Confiance en la |
IV) Gardez la Parole… |
Danger! (3:3, 16) |
La tendance à l’apostasie va, dans le tableau, de la gauche vers la droite.
Elle est d’abord partielle, porte sur un point apparemment de peu d’importance, un « oui, mais… » avant de se généraliser.
Les Laodiciens et les habitants de Sardes sont tièdes ou morts et appelés à la conversion et au repentir.
De nos jours, existe-t-il une Eglise, locale ou dénominationnelle, qui échapperait à ce danger ?
Ce serait tellement beau !
L’Eglise est le peuple de l’alliance.
Christ s’adresse à chaque Eglise en se donnant le titre de Seigneur.
Selon l’état réel de cette communauté, il formule un avertissement ou une exhortation, il lance un appel et fait une promesse.
Eglise |
Titre du |
Nature de |
Exhortation/ |
||
Smyrne |
Le premier, |
Pauvreté, |
Ne crains pas! |
|
|
Philadelphie |
Le Saint, le |
Porte ouverte, |
Je te garderai |
|
|
Pergame |
Epée à deux |
Là où est |
Idolâtrie… |
|
|
Thyatire |
Fils de Dieu, |
Œuvres |
J’ai contre toi |
||
Ephèse |
Les sept étoiles |
Persévère |
Abandon du |
|
|
Sardes |
Sept étoiles et |
Tu es mort |
Je te connais |
|
|
Laodicée |
L’Amen |
Tu es tiède |
Je te vomirai |
|
|
Appel pour
- Smyrne :
Soit fidèle, découlant si obéissance sur la Promesse de la Couronne 2:7 > 22:2
- Philadelphie :
Tiens ferme ! découlant sur la Promesse de la Nouvelle Jérusalem au Ciel 3:12 > 22:4
- Pergame :
Repens-toi…autrement!… découlant sur la Promesse d'un Nom nouveau 2:17 > 21:24
- Thyatire :
Tenez ferme ce que vous avez découlant sur la Promesse de l' Autorité 2:26 > 21:24
- Ephèse :
Souviens-toi, repens-toi ! Découlant sur la Promesse de l' Arbre de vie 2:7 > 22:2
- Sardes :
Garde la Parole ! Découlant sur la Promesse Je confesserai 3:5 > 22:19
- Laodicée :
Je me tiens à la porte découlant sur la Promesse du Trône 3.21 > 21:11