UN APERÇU HISTORIQUE
Il est indéniable sur le plan historique que la Réforme du seizième siècle – qu’elle soit luthérienne, zwinglienne ou calvinienne – a été un mouvement caractérisé par une très riche expression confessionnelle, c’est-à-dire par la production de textes symboliques présentant, défendant et affirmant en forme de serment (« pro-testant ») le corps de doctrines cru et proclamé dans la prédication, la catéchèse ainsi que dans tous les aspects de la vie des églises et des croyants.
Cette activité symbolique s’est d’ailleurs poursuivie au cours du dix-septième siècle (avec notamment la Confession de Westminster, le document symbolique adopté par la plupart des églises dites presbytériennes).
Nombre d’églises continuent de voir le jour de par le monde se réclamant du même héritage confessionnel, particulièrement en Afrique sub-saharienne et en Asie (Indonésie, Corée du Sud entre autres).
Elles demeurent pro-testantes, maintenant vivante une ou plusieurs de ces confessions de foi, en plus de leur attachement aux grands credos écuméniques des premiers siècles (symbole de Nicée-Constantinople, symbole dit des Apôtres, symbole dit d’Athanase, déclaration du concile de Chalcédoine sur les deux natures – divine et humaine – du Christ et leur relation).
A titre d’exemple, de nombreuses églises réformées maintiennent ce qu’il est convenu d’appeler les Trois Formules d’Unité, à savoir la Confession Belgica (rédigée en 1561 par Guido de Brès, mort en martyr en 1567 pour la cause de cette même confession), le Catéchisme de Heidelberg (1563) et les Canons de Dordrecht (1618-1619) : lors de leur ordination, les pasteurs de ces églises prêtent devant l’assemblée des fidèles le serment de prêcher et d’enseigner en accord avec ces textes symboliques.
Il serait erroné de penser que la multiplicité des confessions de foi produites durant la Réforme ne témoigne que de divisions ou de désaccords, même si sur un certain nombre de points une telle appréciation est justifiée.
Une étude comparative des textes symboliques les plus significatifs par leur contenu et l’adhésion qu’ils ont suscitée, montrera facilement que si les circonstances historiques et ecclésiastiques qui en ont motivé la rédaction diffèrent, leur contenu, même si exprimé différemment (et aussi en langues vernaculaires différentes) est en général remarquablement proche.
La comparaison des nuances d’expression, la variation des approches permet en fait de stimuler la réflexion théologique et d’approfondir l’étude de l’Écriture Sainte, à laquelle toutes se réfèrent comme leur source première, comme la norme ultime dont elles se réclament et à laquelle elles cherchent à se soumettre (la norma normans distinguée de la norma normata qui est leur propre statut au sein des églises confessantes, selon le vocabulaire spécialisé).
Il est d’autre part non moins indéniable sur le plan historique que face à ce pro-testantisme, s’est graduellement développé à partir du siècle dit des « Lumières », un anti-testantisme au sein de nombre d’églises historiquement issues de la Réforme, qui cherche à minimiser, voire étouffer toute tendance confessante au sens où les Réformateurs l’avait mise en avant.
La mention d’une ou plusieurs confessions de foi demeure certes en leur sein comme élément d’un patrimoine historique dont la place muséifiée n’est pas contestée, cependant ces confessions ont depuis longtemps perdu tout caractère normatif, laissant la place soit au subjectivisme individualiste (sous prétexte d’un libre-arbitre en fait nié avec la plus grande véhémence par les Réformateurs), soit à un flou doctrinal savamment orchestré afin d’éviter tout engagement délimitant clairement le champ de ce qui est cru en communauté de ce qui ne l’est pas.
On qualifiera alors volontiers de « piège identitaire » tout élément de définition doctrinale s’opposant à un universalisme jugé salvateur du simple fait que le salut serait acquis à tous les humains en tant qu’ils sont les créatures de l’Être suprême.
Cet anti-testantisme déconstruisant aussi bien l’esprit que la lettre des textes symboliques issus de la Réforme, doit naturellement se comprendre par rapport à la norme anthropologique et philosophique antithétique dont il se réclame, celles des « Lumières », devenue à tous égards l’anti-norme confessée implicitement voire explicitement par les églises en question.
« ET VOUS, QUI DITES-VOUS QUE JE SUIS ? »
Le propos de cet article n’est pas d’évaluer ou de contester l’opportunité ou la nécessité de formuler de nouvelles confessions de foi aujourd’hui, dans un contexte socio-historique différent de celui qui prévalait en Europe au 16e siècle.
C’est un sujet qui mérite un développement à part.
Mon propos est plutôt d’évaluer succinctement toute forme d’activité confessionnelle au sein du christianisme à la lumière de l’Écriture, du Sola Scriptura remis en vigueur par la Réforme, afin de tâcher d’en cerner les traits principaux.
Car au-delà des vicissitudes historiques voire des polémiques qui ont accompagné la naissance et la diffusion des confessions de foi de la Réforme (que l’on pense seulement aux circonstances présidant à la publication de la confession d’Augsburg, rédigée par Mélanchthon, l’ami et collaborateur de Luther, et présentée par les princes protestants devant Charles-Quint en juillet 1530) il est nécessaire de remonter à la source de cette remarquable activité confessionnelle : l’Évangile lui-même – auquel les Réformateurs se sont avant tout référés comme à leur point de départ – ; plus spécifiquement, au cœur de l’Évangile, la question cruciale posée en une double séquence par Jésus-Christ à ses disciples en Matthieu 16, d’abord au verset 13: Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l’homme ? (Mc. 8:27 : Les gens, qui disent-ils que je suis ? Lc 9:18: Les foules, qui disent-elles que je suis ?); puis au verset 15, en contraste avec les réponses fournies: Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis?
La réponse de Jésus dans les évangiles synoptiques montre sans l’ombre d’un doute qu’il y a des réponses erronées, et une réponse véridique, celle de Pierre, qui le confesse comme le Christ, le Fils du Dieu vivant (Matt. 16:16), [Tu es le Christ, Mc. 8:29 ; Le Christ de Dieu, Lc 9:19].
C’est bien sur le fondement de ce roc, de cette confession identifiant et nommant correctement sa personne, et dans ce nom même (Christ/Messie) l’œuvre qu’il est venu accomplir, que Jésus édifiera son Église au cours des âges.
Du reste il ne demeurera avec elle jusqu’à la fin des temps que pour autant qu’elle confessera sa souveraineté dans les cieux et sur la terre en la proclamant universellement à toutes les nations au nom du Dieu trinitaire (Matt. 28:18-20).
Si, jusqu’à l’accomplissement complet comme Christ/Messie de sa mission sur terre, Jésus défend à ses disciples de proclamer publiquement qu’il est bien celui que Pierre a confessé non d’un simple mouvement humain mais conduit par le Père céleste (Matt. 16:17), cette identification s’est suffisamment répandue auprès des foules pour que le procurateur romain Ponce Pilate lui-même en ait pris connaissance au moment du procès de Jésus:
Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas ou Jésus appelé le Christ ? (…) Que ferai-je donc de Jésus, appelé le Christ ? lance-t-il à la foule (Matt. 27:17,22).
D’autant plus que la condamnation de Jésus pour blasphème par le sanhédrin un peu plus tôt a été motivée par cette auto-confession sur sa personne.
Il s’est identifié au Fils de l’homme de la prophétie de Daniel 7:13:
Le souverain sacrificateur lui dit : Je t’adjure par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui répondit : Tu l’as dit. De plus je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel (Matt. 26:63-64).
En répondant positivement à la question du souverain sacrificateur, Jésus a repris à son compte la confession de Pierre qui lui avait été inspirée par le Père céleste, et a aussi affirmé son propre retour en gloire, ce que le crédo de Nicée-Constantinople confessera comme suit :
Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin.
Il est du reste tout à fait significatif que Suétone et Tacite, historiens romains de la fin du premier siècle et du début du second siècle, mentionnent la personne de Chrestus, ou Christus, lorsqu’ils parlent des chrétiens.
Que Jésus-Christ exige de ses disciples une confession de foi conforme à la réalité de sa personne et de son oeuvre, cela apparaît tout aussi clairement lorsqu’il leur déclare, au milieu d’un discours où l’accent est mis sur les persécutions auxquelles ils peuvent s’attendre, justement en tant que disciples confessants :
C’est pourquoi, quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux (Matt. 10:32. )
Le texte parallèle dans Lc. 12 :8-9 donne :
Je vous le dis, quiconque me confessera devant les hommes, le Fils de l’homme le confessera aussi devant les anges de Dieu ; mais celui qui m’aura renié devant les hommes sera renié devant les anges de Dieu.
La lettre adressée à l’église de Sardes au début de l’Apocalypse de Jean reprend cette promesse-avertissement dans les termes combinés de Matthieu et de Luc:
Ainsi le vainqueur se vêtira de vêtements blancs, je n’effacerai pas son nom du livre de vie et je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges (Apoc. 3:5).
LE CARACTÈRE DE L’ENGAGEMENT CONFESSIONNEL SUR LE FONDEMENT DU NOUVEAU TESTAMENT
Dans toutes les occurrences pré-citées, le verbe homologeô (en grec ὁμολογἑω) est distingué du verbe employé dans Matt. 3:6 ou Mc. 1:5 pour signifier plus spécifiquement « confesser ses péchés » (exhomologoumenoi tas hamartias autôn).
Ce verbe homologeô ainsi que le substantif apparenté homologia pour « confession » ou « déclaration » (ὁμολογία) apparaissent de nombreuses fois au cours du Nouveau Testament :
vingt-six fois pour le verbe – dont onze pour les seuls écrits johanniques – et six fois pour le substantif, étant appliqués le plus souvent à cette réponse à la fois personnelle et communautaire à la présence vivante du Christ (parfois aussi pour exprimer une confession des péchés).
A la lumière de ces préliminaires, quelques exemples tirés du Nouveau Testament illustreront – de manière non exhaustive – le caractère d’une confession de foi authentique, au sens de conforme à la réponse attendue par le Christ.
Elle est en premier lieu exclusive, Jésus-Christ ne pouvant être ni confondu ni remplacé par quiconque.
Au début de l’évangile selon Jean, Jean Baptiste, interrogé par des sacrificateurs et des Lévites sur son identité et sa mission, confesse qu’il n’est pas le Christ :
Il confessa sans le nier, il confessa: Moi, je ne suis pas le Christ (1:20).
Cette confession à rebours – qui sera suivie le lendemain même par une confession positive lorsqu’il désignera Jésus comme l’Agneau de Dieu (1:29) – nous renvoie aux passages des évangiles synoptiques où une partie des gens estiment que Jésus n’est autre que Jean-Baptiste revenu à la vie après sa décapitation par Hérode Antipas.
Ainsi, dès le début du ministère de Jésus une confession le concernant s’avère bien être exclusive de toute autre personne, serait-ce la plus en vue ou la plus respectée.
Tous ne sont pas le Christ, seul Jésus l’est, même si par ailleurs plusieurs prétendront l’être après son départ, séduisant beaucoup de gens (Matt. 24:4-5; Mc 13:5-6).
Elle est en second lieu intériorisée aussi bien qu’extériorisée, crue intérieurement aussi bien qu’exprimée publiquement, de manière déclarative (le mode déclaratif étant une des connotations les plus fortes du verbe grec homologein).
Au dixième chapitre de l’épître aux Romains, Paul explicite ce qu’est la parole de la foi qu’il prêche :
parole crue de cœur et confessée de bouche,
ces deux aspects étant inséparables:
Or, c’est la parole de la foi, que nous prêchons. Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Car en croyant du cœur on parvient à la justice, et en confessant de la bouche on parvient au salut, selon ce que dit l’Écriture: Quiconque croit en lui ne sera pas confus (10:8b-10).
Est-il utile de préciser que cet aspect déclaratif de la confession de foi qui servira de témoignage devant Dieu et ses anges, selon les paroles mêmes de Jésus (Matt. 10:32, Luc 12:8-9), est le test qui fut mis devant les chrétiens de l’Église primitive, tout comme devant les pro-testants de l’époque de la Réforme, au péril même de leur vie ? (...)
(Suite) PRO-TESTANTISME OU ANTI-TESTANTISME :
La source de la Réforme comme mouvement Confessant
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