« Dieu les a tous renfermés dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous ». (Romains 11,32)
(...) Je suis contraint de renvoyer chacun de vous, pour éprouver la vérité de cette affirmation, à la lecture de la Bible, dont je ne rappellerai ici qu’un seul endroit que je recommande particulièrement à votre méditation :
ce sont les trois premiers chapitres de l’épître aux Romains, à laquelle j’ai emprunté mon texte.
Nul doute que l’objet de cette épître ne soit d’exposer la doctrine chrétienne, puisque saint Paul lui-même, dès le début, annonce son dessin dans ce verset qui est comme le titre de tout l’ouvrage :
« L’Evangile est la puissance de Dieu en salut à tout croyant »Romains 1.16
Eh bien ! Lisez-en les trois premiers chapitres, tout d’une suite et avec cette attention que réclame le langage de saint Paul, souvent confus à une première lecture à force d’ardeur et d’abondance ; et vous verrez qu’il appuie toute l’économie du salut sur le désordre des affections de l’homme naturel et termes si fermes et si positifs, qu’il faut avouer après les avoir lus qu’on ne peut pas plus entrer dans la foi chrétienne sans avoir reconnu ce désordre, qu’on ne peut entrer dans une maison sans passer par la porte.
Car, voulant amener son lecteur à cette conclusion, qu’il annonce au commencement et qu’il répète à la fin de son raisonnement, que Dieu offre désormais à l’homme « la justification par la foi », parce que l’homme ne peut plus l’espérer « par les œuvres », - ce qui signifie, en expliquant saint Paul par saint Paul, que Dieu offre désormais à l’homme la vie éternelle comme une Grâce, parce que l’homme ne peut plus l’espérer à titre de récompense, - Il établit que tous, tant Juifs que Gentils, se sont rendus indignes de la récompense et dignes au contraire du châtiment, parce que tous sont pécheurs ; et Il prouve le péché, tant des Juifs que des Gentils, par tout ce que l’histoire rapporte de leur corruption.
Que si quelqu’un pense ébranler cette preuve en disant que ces chapitres de saint Paul n’ont été écrits que pour ses contemporains et qu’ils ne nous concernent pas, il abuse étrangement d’un principe dans lequel il y a pourtant quelque vérité.
Il est vrai qu’on trouve dans l’Evangile, écrit à une époque spéciale et destiné premièrement aux hommes de cette époque, certains détails qui n’ont d’application directe qu’à cette époque et à ces hommes ; des allusions, des exhortations, des reproches, des considérations, en rapport avec les circonstances du temps et avec le caractère ou le génie du siècle.
Il est vrai encore qu’on peut justement appliquer cette observation au commencement de l’épître aux Romains, en disant que les faits auxquels en appelle saint Paul pour attester le désordre des affections de l’homme sont tirés de l’histoire de son temps et peuvent ne pas se rapporter tous au nôtre ; et surtout que le portrait qu’il trace, étant celui de populations entières embrassées dans une seule vue, est composé de traits divers empruntés à des individus divers, en sorte que tous les désordres qu’il rappelle ne se rencontrent pas dans chaque homme en particulier.
Tout cela est vrai.
Mais il n’est pas moins vrai que l’Evangile, quoiqu’il n’ait pas été écrit à tous les hommes, l’a été pour tous les hommes ; que cette Sagesse Eternelle qui l’a dicté, et aux yeux de laquelle « mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans »2 Pierre 3.8, avait en vue tous les individus de tous les temps ; que saint Paul accuse dans tout homme l’existence de ce même germe mauvais, quoiqu’il ne se déclare pas toujours par les mêmes fruits ; et que si, au lieu d’écrire aux Romains du premier siècle, il eût écrit aux Français du dix-neuvième et d'aujourd'hui, il fût arrivé, quoique par des faits différents en partie, à cette même sentence dont il n’excepte personne : « Toute bouche doit donc être fermée, et tout homme reconnu coupable devant Dieu. Il n’y a point de juste, non, pas même un seul ; il n’y a personne qui cherche Dieu ; ils se sont tous détournés ; ils se sont tous corrompus ; il n’y en a pas un seul qui fasse le bien, non », répète-t-il, « pas même un seul » Romains 3.9-12
Car, si l’on nie l’universalité de ces déclarations ; si l’on fait, dans l’interprétation de l’Evangile, une part plus large à la spécialité de l’époque que celle que nous venons de lui faire ; si l’on ose soutenir que non-seulement certaines particularités, mais des enseignements suivis, non seulement certaines preuves de détail, mais des raisonnements entiers et jusqu’à leurs conclusions, non seulement certains traits, mais des fragments, des chapitres, peut-être des livres entiers, ne doivent pas être pris en considération parce qu’ils n’ont été écrits que pour les contemporains et ne nous concernent pas, - vous prévoyez la conséquence.
Libres de trier l’Evangile, nous n’en croirons plus que ce qui nous plaira, et nous en rejetterons tout ce qui nous déplaira, sous prétexte que cela ne nous concerne pas.
Et comme il est aisé de pressentir que ce qui nous plaira, c’est ce qui sera conforme à nos idées personnelles, et que tout ce qui leur sera contraire nous déplaira, il suit de là que nous n’admettrons plus de l’Evangile que ce que nous croyions déjà avant de le lire, et que nous en élaguerons tout ce qui est contre nos idées, c’est-à-dire précisément ce qui pouvait les redresser, ce qui nous était le plus spécialement destiné de Dieu.
Après en avoir achevé la dernière ligne, nous en serons à peu près au même point qu’avant d’avoir commencé la première :
il n’y aura guère de changé que le nom ; le fond des convictions et des sentiments ne le sera pas.
Loin de moi ces systèmes humains et ces interprétations forcées, qui, sous prétexte de dépouiller la foi de ce qui n’est pas raisonnable, tombent dans cet abus terrible contre lequel l’ange de l’Apocalypse prit tant de soin de prémunir l’apôtre saint Jean, « ajoutent, retranchent »Apocalypse 22.18, corrigent, substituent, « tordent les Ecritures » 2 Pierre 3.46, dit saint Pierre, et passez-moi ces expressions, désévangélisent l’Evangile et dédivinisent la Parole de Dieu !
Que cet évangile épuré, que cet évangile des hommes enseigne ce qu’il voudra, je m’en tiens à l’Evangile de Dieu ; et selon cet Evangile, l’homme est de sa nature dans un état de péché, d’égarement, de désordre.
Si l’homme n’est pas dans le désordre, il faut effacer de l’Ecriture tous les passages que je citais plus haut, et cette foule d’autres que je me suis abstenu de citer, où ce désordre est déclaré.
Si l’homme n’est pas dans le désordre, il faut effacer tous les passages où est enseignée la nécessité d’une conversion et d’un rétablissement, puisqu’il n’y a pas lieu à changer de chemin quand on n’est point égaré, ni à rétablir ce qui n’est point reversé.
Si l’homme n’est pas dans le désordre, il faut effacer tous les passages où est proclamée cette Réconciliation, cette Délivrance Merveilleuse, cette Miséricorde qui surpasse toute connaissance, puisqu’il n’y a point de réconciliation sans inimitié, point de délivrance merveilleuse sans un affreux péril, point de miséricorde infinie sans une misère infinie.
Il faut déchirer page après page, discours après discours, livre après livre ; et après que vous aurez mis ainsi la Bible en lambeaux, il faudra déchirer ces lambeaux eux-mêmes, ou convenir que, selon la Bible, tout homme dans son état naturel est pécheur.
Quand la Parole de Dieu s’est ainsi expliquée, je n’ai pas besoin, quant à moi, d’autre autorité.
Mais, parce que je crains que plusieurs n’aient pas assez de foi dans la Bible pour admettre sans hésiter tout ce qu’elle enseigne, je vais descendre un moment sur leur terrain, et leur faire voir que la raison elle-même, loin de contredire cette doctrine de la Bible, ne peut lui refuser son assentiment, parce qu’elle aussi établit à sa manière ces deux points, que l’homme doit aimer Dieu par-dessus tout, et que dans son état naturel il aime autre chose plus que Dieu.
Etablir par le raisonnement que notre premier amour est dû à Dieu, ce n’est pas une chose facile ; non que la justesse de cette proposition ne me semble claire, mais au contraire parce qu’elle me semble si claire que la voyant comme par instinct, je suis embarrassé pour la démontrer.
Essayons cependant ; et faisons voir que Dieu est Souverainement Digne de notre amour, soit qu’on le considère en Lui-même, ou dans Ses Rapports avec nous.
Quoi de plus aimable, à le considérer en Lui-même, que l’être parfait ; en qui se trouvent au plus haut degré, tempérées et relevées les unes par les autres, les qualités les plus dignes d’admiration et les plus dignes d’affection ; en qui tout est si excellent, que tous les peuples se sont accordés à réserver aux choses qu’ils voulaient louer au delà de toute expression l’épithète de divines ?
Et combien n’est-il pas évident qu’un tel être est en droit d’attendre de nous, si nous sommes dans l’ordre, toute la vénération, tout le dévouement, tout l’amour dont nous sommes capables ?
Mais combien plus ces sentiments Lui semblent-ils dus quand nous Le considérons non plus seulement en Lui-même, mais dans Ses Rapports avec nous ; comme Celui sans qui nous n’aurions rien, et pour tout dire en un mot, sans qui nous ne serions pas !
Arrêtez-vous sur ce dernier rapport, en le considérant à part comme s’il était seul ; et pour sentir la nécessité d’aimer Dieu par-dessus tout, réfléchissez seulement qu’Il est Votre Créateur, et que vous êtes Sa Créature.
Essayez de vous faire quelque idée de ce que c’est que créer : tirer de rien quelque chose, faire que nous qui n’étions pas nous avons été.
Vous ne pourrez aller au fond de cette pensée, elle a des abîmes où notre faible intelligence se perd ; mais le peu que vous en comprendrez, mais l’impossibilité même d’en comprendre davantage, suffira pour vous faire reconnaître que la relation qui unit le Créateur à la créature est si forte, si intime, si étendue, et si je puis ainsi parler, si unique, que toute autre relation doit Lui être subordonnée, tout autre engagement soumis à votre engagement primitif avec Dieu, et tout autre amour précédé, commandé, dominé par l’Amour de Dieu.
Il y a plus :
Non seulement Dieu est Souverainement Digne de votre amour, mais Il en est Digne Lui Seul.
Tout ce qui est aimable vient de Dieu, ou plutôt tout ce qui est aimable est Dieu.
La sainteté, la vérité, la morale, la conscience, la félicité, tous ces noms honorés du respect de tous les peuples et des méditations des plus beaux génies, ces noms qui font vibrer toute âme d’homme d’un saint frémissement, n’ont point d’autorité qu’ils n’empruntent de Lui ; ce sont comme des fragments de Dieu éparpillé[s] par un esprit trop borné pour le considérer tout d’une vue et dans son ensemble.
La sainteté est la Volonté de Dieu, la vérité est Sa Pensée, la félicité est Son Etat, la morale est Sa Loi, la conscience est Son Représentant ; et si vous remontez aux commencements, vous voyez toutes ces routes diverses que la religion et la saine philosophie ont montrées à l’homme, converger de plus en plus en se rapprochant de leur source, et là aboutir enfin toutes à Dieu, centre commun d’où elles rayonnent sur tout l’univers.
Puis donc que Dieu est votre principe, votre centre, votre fin, votre tout, commencez par Lui donner votre amour, votre cœur, vous-même tout entier ; et il sera temps de voir ensuite comment vos affections pourront être étendues à d’autres objets, sans rien ôter et en tout subordonnant à ce premier amour.
Sortez-en, cessez d’aimer Dieu par-dessus tout, et vous tomberez dans un désordre d’autant plus grand, que de la relation fondamentale qui vous unit au Créateur dépendent toutes les relations secondaires qui vous unissent aux créatures, en sorte que la première ne peut être rompue que les autres ne le soient aussi par contre-coup.
Rendons cela sensible par une image.
Comprenez l’état de l’homme cessant d’aimer Dieu par-dessus tout, par ce qui arriverait à une planète, par exemple à la terre, si, lasse de poursuivre sa marche uniforme autour du soleil, elle faisait un bond hors de son orbite et se frayait dans l’espace une route libre et indépendante.
Par cet égarement, par ce péché de la terre, sera rompue la loi fondamentale de son être, et avec elle toutes les autres lois qui en dépendent ; en même temps que son rapport avec le soleil, seront troublés aussi ses rapports avec son satellite et avec les autres planètes.
Figurez-vous la confusion que ces changements apporteront dans son sein : les temps marqués par ses mouvements, les jours et les nuits, les étés et les hivers, ne se succédant plus ; le flux et le reflux des mers privé de règle et de frein ; la vie des plantes, des animaux, des hommes, arrêtée dans son cours ; et sans multiplier les prévisions, de désordres en désordres enfantés les uns par les autres, à la fin un chaos effroyable, où s’il reste comme par hasard à notre globe quelques traces de sa gloire et de sa beauté première, elles ne serviront qu’à relever la honte de son bouleversement.
Tel sera le désordre intérieur de l’homme, s’il s’écarte du principe de son être et place hors de Dieu son premier amour.
Ainsi la raison donne un plein assentiment à cette assertion de l’Ecriture, que l’homme, pour être dans l’ordre, doit aimer Dieu par-dessus tout.
Elle donne le même assentiment à cette autre assertion de l’Ecriture, que l’homme, dans son état naturel, aime autre chose plus que Dieu.
Car, examinez de bonne foi, vous qui n’avez point subi jusqu’à présent de conversion, et qui par conséquent êtes encore dans votre état naturel, examinez si le sentiment que vous portez à Dieu peut être appelé un amour dominant.
L’amour ne se cache pas dans le cœur : il se montre au dehors par certaines marques visibles ; « de l’abondance du cœur la bouche parle », les yeux regardent, la main travaille, tout l’homme agit.
Eh bien ! Trouve-t-on dans votre vie des marques d’un amour dominant pour Dieu ?
Vous en allez juger vous-mêmes.
Supposant un moment que cet amour est en ceux qui m’écoutent, je vais faire de leur vie une peinture idéale, que vous n’aurez qu’à comparer avec votre vie réelle pour reconnaître si ma supposition était ou non fondée.
Aimer Dieu par-dessus tout est visiblement la pente naturelle de leur cœur ; et quand je viens de leur dire qu’ils doivent vivre avant tout pour Lui, chacun m’a compris, chacun m’avait prévenu.
Le matin, sitôt qu’ils s’éveillent, Dieu est leur première pensée ; une pensée qu’ils n’ont pas besoin de chercher, tant elle s’offre à eux d’elle-même ; ils la trouvent partout, au dedans et au dehors, qui les pénètre et qui les environne, dans leur cœur, dans le jour qui les éclaire, dans l’air qu’ils respirent.
Le soir, cette même pensée les suit encore jusqu’à la fin, survit dans leur esprit à tous les autres souvenirs, s’éteint la dernière dans le sommeil, et quelquefois occupe encore jusqu’aux songes de la nuit, comme elle occupe dans le jour ces moments d’abandon où l’esprit se laisse entraîner sans dessein à ses mouvement instinctifs.
Tous les jours, Dieu est l’âme de tout ce qu’ils font ; leur unique ambition est de L’aimer et de Lui obéir.
Forcés de se livrer à des occupations matérielles, ils souffriraient de se voir distraits par elles de Son Service, s’ils ne trouvaient moyen de les y faire rentrer par l’esprit qu’ils y portent.
Leur plus dure privation dans ce monde est d’être empêchés par un corps pesant et des facultés bornées, de se livrer avec pleine liberté à la contemplation de Ses attributs et de Ses bienfaits.
Chez eux, les affections du sang et de l’amitié sont comme un reflet de l’Amour de Dieu, et quand ils aiment quelque autre que Dieu, c’est encore Dieu qu’ils aiment en Lui.
S’ils lisent, Dieu est l’objet favori de leurs lectures : un livre les attache à proportion qu’il les entretient davantage de Lui ; mais Sa Parole surtout a pour eux un attrait qu’ils ne trouvent point ailleurs, et dans l’étude assidue qu’ils en font le devoir a moins de part que le plaisir.
S’ils parlent, Dieu est encore le sujet habituel de leurs discours : Son Nom vient se placer de lui-même dans toutes les bouches ; Sa Bonté, les moyens de Lui plaire, le malheur de l’offenser, remplissent tous leurs entretiens ; ils n’y font aux soins de la vie et aux intérêts de ce monde que la part indispensable, et si la conversation a été longtemps envahie par des sujets où Dieu n’est pour rien, ils y sentent aussitôt un vide qui les avertit de revenir à Lui.
Enfin, quoi qu’ils fassent, et jusqu’en mangeant et en buvant, ils le font en vue de Dieu 1 Corinthiens 10.31 ; rien de plus constant, de plus vif, de plus entraînant que le sentiment qu’Il leur inspire ; et l’on voit à toute leur vie qu’ils Lui ont, sans effort, par penchant, voué leur premier amour.
Mes bien-aimé(e)s frères et soeurs, loin de moi l’ironie.
Par ce tableau de ce que serait votre vie si vous aimiez Dieu par-dessus tout, je n’ai voulu que vous faire voir comme à l’œil combien vous êtes éloignés de l’aimer de la sorte.
Chacun de vous a pu faire en lui-même le rapprochement de cette vie imaginée avec sa vie réelle ; et chacun a senti qu’elles diffèrent sur tous les points.
Il n’est pas vrai que chacun m’ait compris, que chacun m’eût prévenu, quand j’ai dit que nous devons vivre avant tout pour Dieu : tout au contraire, quand vous rencontrez quelque expression vive d’amour pour Dieu et de dévouement à Dieu, vous êtes tentés d’y voir de la nouveauté, de l’exagération ou du mysticisme.
Il n’est pas vrai qu’aimer Dieu soit la pente irrésistible de votre cœur : pour y faire naître cet amour, il faut pour certain(e)s qu’on vous remue, qu’on vous ébranle ; encore disparaît-il le moment d’après, comme une étincelle qui s’élève dans les airs et qui s’éteint.
Il n’est pas vrai que votre plus dure privation soit d’être détournés par ce corps pesant et grossier de contempler Dieu et de le servir : vous ne sentez guère les misères de votre corps que lorsqu’il est affligé par des besoins matériels ou par des douleurs physiques.
Il n’est pas vrai que dans ceux que vous aimez ce soit Dieu que vous aimiez : les sentiments du sang et de l’amitié ne sont si vifs que par ce qu’ils ont d’humain ; et si vous y faites entrer Dieu quelquefois, c’est comme le protecteur, non comme le premier objet de vos affections.
Il n’est pas vrai que les lectures qui vous attachent le plus soient celles qui vous occupent de Dieu, et surtout sa Parole : vous faites de saintes lectures par devoir, vous lisez la Bible par conscience, c’est une tâche qu’il faut avoir remplie pour s’endormir content de soi ; mais vous réservez votre goût, votre curiosité, votre ardeur, pour des livres remplis des intérêts de ce monde, si ce n’est des convoitises de ce monde.
Il n’est pas vrai surtout que Dieu soit le sujet habituel et favori de vos entretiens : hélas ! Tout y trouve place excepté Lui.
Le bonheur et la santé de ceux qui vous appartiennent, les soins de votre carrière, la prospérité de la patrie, la nouvelle du jour, les petits événements de la vie domestique, peut-être les choses les plus indifférentes et les plus frivoles, occuperont tour à tour, rempliront, animeront vos entretiens : mais Le Nom de Dieu n’y paraîtra pas, ou n’y sera mêlé qu’avec une réserve timide, quand ce n’est pas avec une légèreté profane ; s’il vient à la pensée de quelqu’un d’en parler avec quelque animation, je ne sais quelle pudeur de piété le retiendra ; il n’oserait, il semblerait étrange, on dirait qu’il prêche, ce n’est pas le temps, ce n’est pas le lieu, – comme si le véritable amour n’était pas de tous les temps et de tous les lieux !
Comme si le véritable amour savait observer si habilement les convenances, et se plier si docilement à toutes les apparences de la froideur !
Comme si le véritable amour était celui qu’on quitte et qu’on prend à volonté, qu’on montre ou qu’on cache, selon le jour de la semaine, selon l’heure de la journée, selon le ton d’une maison !
Ah ! Il faut dire de votre amour pour Dieu précisément le contraire de ce que nous disions tout à l’heure : rien de vif, rien d’entraînant, rien d’aimant dans cet amour.
Le sentiment que vous portez à Dieu (ce que je vais dire n’est point un trait qui m’échappe dans la chaleur du discours, c’est une expression exacte et réfléchie), le sentiment que vous portez à Dieu se trouve n’être, si l’on en juge d’après votre vie, qu’une estime froide ; sentiment dont un père, une mère, un frère, un époux, un ami, non seulement ne se contenteraient pas, mais qu’ils regarderaient comme une injure.
Tant il est vrai qu’aux yeux de la raison elle-même, l’homme naturel n’aime pas Dieu par-dessus tout, l’homme naturel est égaré, est pécheur.
Après avoir vu que vous n’aimez pas Dieu d’un amour dominant, examinez encore, et vous trouverez, chacun de vous, quelque autre objet que vous aimez d’un amour dominant, et comme vous devriez aimer Dieu.
Cet objet n’est pas le même pour tous ; tous sont pécheurs, mais tous ne le sont pas de la même manière.
L’objet du premier amour du plus grand nombre, et presque de tous les hommes, dans leur état naturel, c’est le monde.
J’appelle ainsi les choses extérieures et visibles qui contribuent à notre bien-être personnel et à notre considération sociale : la fortune, le rang, le crédit, la science, le talent.
C’est dans une de ces choses que vous trouverez, la plupart de vous, l’objet de votre premier amour ; non d’une estime froide telle que vous l’accordez à Dieu, mais d’un sentiment ardent et passionné.
A vous, votre premier amour, c’est la fortune : ce n’est pas une estime froide que vous avez vouée à l’argent et à l’or, c’est une cupidité ardente et passionnée ; vous les cherchez comme le bien suprême ; vous identifiez leur substance avec votre substance ; vous en faites votre vie, votre sang, votre tout.
A vous, votre premier amour, c’est le rang et le crédit : ce n’est pas une estime froide que vous avez vouée aux distinctions du monde, c’est une ambition ardente et passionnée ; vous sacrifiez pour vous élever votre temps, votre repos, votre santé, vos goûts, votre fierté.
A vous, votre premier amour, c’est la science et le talent : ce n’est pas une estime froide que vous avez vouée aux lumières et au génie, c’est une admiration ardente et passionnée ; avec quelle vivacité vous les désirez pour vous-mêmes ! Avec quel feu vous les exaltez dans les autres !
Presque tous, votre premier amour, c’est le monde et les choses du monde.
Ces choses remplissent votre cœur ; elles préoccupent vos esprits ; elles animent vos discours ; les pensées qui s’y rapportent vous trouvent toujours vifs et éveillés ; vous vous en occupez, vous en parlez, vous en écrivez, vous vous en nourrissez, vous en vivez.
Première classe de pécheurs, et la plus nombreuse, ceux qui préfèrent à Dieu le monde : Les pécheurs mondains.
Soyons justes cependant : tous n’ont pas cette mondanité de pensées.
Quelques-uns ont une âme plus tendre et des attachements plus généreux.
Ils ne livrent pas leur cœur aux choses extérieures : ils le donnent à la famille et à l’amitié.
Les objets de leur premier amour, c’est un père ou une mère, un mari ou une femme, un enfant, un ami, au bonheur desquels ils rapportent leurs projets, leurs plans, tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils ont ; pour lesquels ils semblent exister autant et plus encore que pour eux-mêmes, et sans lesquels ils ne se soucient pas de vivre.
Je n’ai garde de les confondre avec les pécheurs mondains ; ils ont des sentiments autant au-dessus des leurs que l’âme humaine est au-dessus des choses visibles.
J’accorderai même qu’il y a dans cette puissance d’affection quelque chose de touchant et de louable.
Mais une belle idole n’est après tout qu’une idole : pour avoir placé leur premier amour dans un ordre plus élevé de choses créées, il n’en est pas moins vrai qu’eux aussi préfèrent la créature au Créateur ; ils détournent sur l’homme ce premier amour qu’ils devaient à Dieu, ils pèchent.
Seconde classe de pécheurs, ceux qui préfèrent à Dieu les objets de leurs affections : Les pécheurs affectueux.
Enfin, il est peut-être des hommes qui ne détournent leur premier amour ni sur le monde, ni sur les affections du cœur, mais sur ce qu’ils acceptent comme le devoir ; réglant leur vie sur leur conscience, sans remonter jusqu’à la volonté de Dieu, et s’appliquant à se perfectionner, moins pour plaire à Dieu que pour être contents d’eux-mêmes.
Assurément, de tels hommes sont supérieurs aux pécheurs mondains, et même aux pécheurs affectueux ; et je me réjouirai pour la triste nature humaine qu’elle soit encore capable d’aussi nobles aspirations.
Mais, quand nous aurons fait en leur faveur toute la part de l’équité, et celle même du respect, il faudra reconnaître cependant que ces hommes encore ne sont pas dans l’ordre.
Ils se servent de centre à eux-mêmes.
Ils se font un Dieu de leur conscience ; et par là, sans y songer, ils démoralisent la conscience elle-même.
Car la conscience se rapporte à Dieu comme la lune au soleil : elle n’a de lumière auxiliaire pour nous, qu’autant que Dieu demeure Notre Lumière Principale.
Du moment qu’elle ne dit plus : Dieu veut, mais je veux, la conscience elle-même est une rebelle, elle pèche ; et il arrive alors à celui qui lui donne son premier amour ce qu’a prédit Jésus-Christ :
« Si la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes tes ténèbres ! »
C’est pourquoi ces esclaves naturels du devoir, ces adorateurs de la conscience, pourront être des hommes vertueux, mais ne seront pas saints ; ils pourront être exempts de vice, mais ne le seront pas de péché.
Troisième classe de pécheurs, ceux qui préfèrent à Dieu leur conscience : Les pécheurs vertueux.
Retranchez ces trois classes de pécheurs.
Retranchez la multitude des pécheurs mondains.
Retranchez la troupe nombreuse des pécheurs affectueux.
Retranchez la famille clair-semée des pécheurs vertueux.
Que reste-t-il pour ton partage, Ô Mon Dieu ?
Et combien en est-il qui aient réservé pour Toi ce Premier Amour qui t’est dû par tous ?
« pas un, non, pas même un seul ! »
Nous avons tous abandonné le Créateur pour la créature, nous sommes tous égarés, tous pécheurs !
Mes frères, mes soeurs, si ce discours a trouvé quelque ouverture dans votre âme, s’il y a fait pénétrer quelque conviction, quelque soupçon du moins de la misère de votre nature, je vous en conjure, ne repoussez pas cette impression.
Vous réussirez à vous étourdir, si vous le voulez.
Vous n’avez qu’à dire en sortant de cette église : Cette doctrine est exagérée ;
vous ne trouverez que trop d’écho tout autour de vous ; vous serez persuadés, parce que vous souhaitez de l’être ; vous écarterez la vérité importune que j’ai démontrée, mais pour votre malheur.
Parce que vous aurez écarté la Vérité, elle n’en sera pas moins la Vérité ; parce que vous aurez fermé la Bible, elle n’en sera pas moins la Parole de Dieu ; parce que vous aurez mis votre main sur votre plaie, elle n’en sera pas moins grave, et vous ne gagnerez à la couvrir que de la déguiser au médecin, jusqu’à ce qu’elle soit peut-être devenue mortelle.
Laissez, laissez troubler votre périlleuse sécurité !
Que cette première vue qui vient de vous être donnée de votre misère vous fasse chercher dans la Parole de Dieu une autorité plus imposante, à laquelle je n’ai voulu que vous renvoyer, sachant bien que le raisonnement ne peut tout au plus préparer les cœurs, mais que Dieu a réservé à son Esprit et à sa Parole de les « convaincre de péché »Jean 16.8
Là, cette voix dont vous direz à chaque page : « Voix d’un Dieu et non d’un homme » Ac 12.22, vous révélera peu à peu l’inexprimable désordre de vos affections, et vous apprendra à vous voir vous-mêmes tels que Dieu vous voit.
Là, vous découvrirez dans les fautes qui vous semblent aujourd’hui légères, des offenses à la Majesté Divine que tout votre sang ne peut expier ; dans des pensées qui vous semblent aujourd’hui innocentes, des mystères d’iniquité ; dans des actions qu’aujourd’hui votre conscience approuve, des péchés déguisés.
Là enfin, vous contemplant vous-mêmes non plus dans vos ténèbres naturelles, mais dans la Pure Lumière de Dieu, loin de douter que vous soyez pécheurs, vous aurez peine à croire qu’il y ait eu un temps de votre vie où vous l’avez ignoré.
Ne craignez pas la sévérité avec laquelle l’Evangile vous juge.
L’Evangile, en condamnant votre état actuel dont le monde se contente, vous donne à connaître que vous étiez appelés, et qu’il peut vous faire revenir, à une grandeur que le monde ne soupçonne pas.
Par l'Ecriture, Dieu ne vous juge si mauvais, que parce qu’Il vous veut si saints ; Il ne vous trouve si pauvres, que parce qu’Il a tout à vous donner ; et la condamnation qu’Il prononce sur vous est un gage de cette Délivrance qu’Il vous réserve, et sur laquelle on a tout dit en un mot quand on a seulement rappelé Ton Nom, Ô Jésus !
C’est-à-dire Ô Sauveur ! Oui, Grand Dieu !
Qui n’abaisses que pour relever, qui n’agites que pour calmer, qui n’ébranles que pour raffermir, nous acceptons la sentence de notre condamnation.
Nous l’acceptons avec repentir et avec douleur, mais avec reconnaissance et avec espoir, comme un gage de notre délivrance.
Ne nous cache rien de notre désordre !
Répands dans nos âmes Ta Lumière toute vive et tout entière, pour que nous nous voyions tels que nous sommes !
Qu’à cette vue il s’élève à la fois de partout un cri de surprise et d’angoisse, qui déchire l’atmosphère d’indifférence où nous sommes enveloppés, qui se fasse jour jusqu’à Toi et qui remue Tes Entrailles Paternelles !
En sorte que renonçant désormais à toute estime de nous mêmes, humiliés, et rien qu’humiliés, croyants, et rien que croyants, nous nous abandonnions sans réserve à Ton Amour, pour sortir de l’abîme de notre misère par celui de Ta Miséricorde !
Amen,
Adolphe Monod,
Pasteur Protestant Réformé
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