(Par Ernest Dhombres)
Toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet, ta chambre et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans ce lieu secret, et Ton Père, qui te voit dans le secret, te récompensera, publiquement. (Matthieu 6.6)
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Dans les paroles de notre texte, Jésus-Christ, préoccupé des erreurs du légalisme froid, répandues comme des miasmes impures dans l'atmosphère de son temps, a voulu, avant tout, flétrir cette piété tout extérieure, cette dévotion formaliste qui s'affiche, s'étale, avide du regard des hommes plus que du regard de Dieu et qui n'est que le pompeux déploiement du néant.
Mais les paroles de Notre Sauveur ont aussi une portée positive : Il prescrit le recueillement, la prière secrète ; Il institue le culte individuel ; Il nous invite à dresser en l'honneur de Dieu, au-delà de l'autel des adorations publiques, au-delà de l'autel du foyer domestique, un autel solitaire dans le fond même du cœur et de la vie.
C'est dans ce sens que nous entendrons et développerons la parole de Jésus-Christ montrant d'abord la nécessité du recueillement et de l'adoration individuelle, ensuite la récompense publique que le Seigneur réserve à la prière secrète.
Tout tend, de nos jours surtout, à nous répandre au dehors.
A d'autres époques, il y avait place pour les longues méditations, pour l'étude de soi-même et pour la recherche des choses d'en haut.
Mais aujourd'hui, il y a comme une universelle conspiration contre la vie intérieure.
Le mouvement de la vie est si rapide et si intense, la sphère de chacun de nous, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, s'est tellement agrandie et compliquée, qu'en vérité, tout nous distrait, tout nous dissipe, tout nous disperse, tout travaille à nous faire sortir de nous-mêmes, comme cette force du monde matériel qui tend à projeter les corps hors de leur centre ; et lorsque, dans de trop rares instants, nous rentrons dans notre for intérieur, le retentissement du dehors nous poursuit jusque dans la solitude, et notre repos lui-même n'est que le reflet de nos agitations.
Il y a là un sérieux péril.
Et s'il ne se produisait pas une réaction énergique et continue contre cette tendance, comme dans le monde physique une autre force que celle qui nous éloigne de nous-mêmes ne venait pas nous y ramener, -- en vérité, il y aurait de quoi regretter tout le mouvement de la civilisation contemporaine ; car nous l'aurions payé bien cher, nous l'aurions payé au prix de la véritable dignité, de la véritable valeur de la vie humaine.
En effet du sein de cette agitation permanente, on touche à tout et l'on n'embrasse rien.
On jette et on épargne, pour ainsi dire, son être moral en mille directions, au lieu de se concentrer en un courant unique et puissant.
L'individualité, ce secret de la force, ce ressort des caractères, va s'usant et s'affaiblissant ; on ne pense plus par soi-même, on n'est plus que le servile copiste de ce qui se dit ou se fait autour de nous, et l'on ressemble, comme on l'a justement observé, à ces monnaies banales dont l'empreinte s'efface dans une circulation incessante.
En un mot, on est emporté dans le tourbillon, on s'agite, on se travaille, mais on ne vit pas.
Quels sont les hommes qui ont vécu ?
Ce sont ceux qui ont eu une pensée, une volonté, un but déterminés.
Ceux-là se sont repliés sur eux-mêmes, comme dans une forteresse bien armée et bien approvisionnée.
De là ils se sont jetés dans la mêlée humaine avec un dessein arrêté, avec une idée, un sentiment, une passion qui les possédait, exerçant l'influence au lieu de la subir, dominant les circonstances au lieu de se laisser dominer par elles.
Ces hommes-là seuls ont vécu.
Ainsi donc, même à un point de vue purement humain, il faut que la réflexion précède et prépare l'action, il faut que la vie intérieure soit la source féconde de la vie extérieure.
A combien plus forte raison pour la vie chrétienne, pour la vie spirituelle, qui, si elle doit se déployer au dehors en activité, en fruits, en œuvres, doit, avant tout, naître et se former au dedans ;
-- pour la vie spirituelle, que le monde non seulement ne crée point, mais tend sans cesse à affaiblir et à détruire
-- pour la vie spirituelle, plante céleste et délicate que l'Esprit seul peut faire germer et fleurir en nous !
Ce n'est que dans le recueillement et la prière solitaire, que nous pouvons rentrer en nous-mêmes, et arriver à cette sincérité absolue, à cette situation vraie vis-à-vis de nous-même et vis-à-vis de Dieu, qui est le premier pas vers le royaume des cieux.
Là seulement, loin de la fascination du monde visible, le monde invisible et Dieu descendent vers nous et nous montons vers eux.
Là seulement s'éprouvent les saintes douleurs de la repentance, et les saintes joies du pardon.
Là seulement, tout intermédiaire, tout obstacle étant supprimé entre nous et Dieu, nous pouvons goûter le don céleste et les puissances du siècle à venir.
Si nous voulons vivre de la vie cachée avec Christ en Dieu, sachons nous ménager, au milieu même de la vie la plus occupée, des heures de recueillement et de retraite.
Ma Soeur, mon Frère, entre dans ton cabinet, ta chambre, fermes-en la porte à toute distraction du dehors, et là, prie ton Père : prie ton Père !
Voilà la différence entre l'homme simplement sérieux et le chrétien.
Le premier réfléchit, médite et se recueille.
Le second réfléchit, médite, se recueille...mais il prie !
Après s'être recueilli, il se tourne vers Dieu, il Le cherche, il s'appuie sur Lui, il implore Sa Lumière et Sa force.
Sa solitude est une auguste société avec le Père des esprits : son monologue est un dialogue entre l'enfant de la poudre et le Dieu des cieux !
Et quelle ressource religieuse, pourrait remplacer cet ineffable commerce entre l'âme et son Dieu ?
Ce malade, dont les jours sont sans repos et les nuits sans sommeil, à qui confiera-t-il ses douleurs, ses faiblesses, ses découragements, ses longs ennuis ?
A qui portera-t-il sa plainte monotone -- si ce n'est à ce Pasteur d'Israël qui ne sommeille jamais, qui ne sera jamais fatigué de l'entendre et auquel il peut dire comme David :
Tu enverras ta gratuité durant le jour et ton cantique sera avec moi durant la nuit ?
Cet homme en perplexité, appelé à prendre une décision qui engage son avenir, celui des siens et la gloire de Dieu elle-même, et qui n'aperçoit pas sa route...à qui demanderait-il la lumière et la force, si ce n'est à Celui pour qui l'inconnu est connu, les ténèbres lumière, l'avenir présent, et qui le soutient par ces paroles consolantes :
Le cœur de l'homme délibère de sa voie, mais Dieu conduit ses pas. Je te rendrai avisé, je t'enseignerai le chemin que tes pas doivent tenir ?
Et cette âme froissée, n'ayant personne à qui s'ouvrir ici-bas, enlevez-lui ces confidences qu'elle peut faire à ce Souverain Sacrificateur, qui a été tenté comme nous en toutes choses, et vous lui aurez enlevé ce qui lui donne encore la force de vivre !
Mais ce sont là ce qu'on pourrait appeler, les solennités du culte individuel, car il a ses grands jours comme le culte public et le culte domestique...
Mais quoi ! ô mon âme, te faudra-t-il la pression de circonstances exceptionnelles pour te rapprocher de Dieu et t'amener à ses pieds ?
Quoi ! Ne pourras-tu, sans occasion impérieuse, te tourner vers Lui, comme la fleur cherche le soleil, ou l'enfant le sein de sa mère ?
Et, s'il faut absolument des dons pour te révéler le Donateur suprême, n'en tombe-t-il pas sur ton sentier, chaque jour, une rosée assez abondante, pour que, comme la rosée des campagnes, descendue du ciel, elle remonte au ciel, et qu'elle entretienne au fond de ton cœur une adoration permanente ?
Aussi les saints hommes de Dieu de tous les temps, ont-ils uni aux prières avec leurs frères, aux prières de circonstance, la prière habituelle et personnelle.
Si un Abraham intercède en des jours solennels pour Sodome et Gomorrhe, si partout où il dresse sa tente, il dresse avec les siens un autel au Seigneur, il cherche, seul, la présence de Dieu sous les chênes de Mamré.
Si un David invoque son Dieu avec une ferveur redoublée aux jours de son crime et de son repentir auprès de la couche où meurt son jeune enfant, à la veille d'une bataille...que sont la plupart de ses psaumes, si ce n'est l'expression, et comme l'épanchement de ses prières solitaires et permanentes ?
Si un Daniel, aux approches de la délivrance de son peuple, cherche à faire requête avec le jeûne, le sac et la cendre, nous le voyons à Babylone prier régulièrement trois fois par jour en ouvrant ses fenêtres du côté de Jérusalem.
Parlerai-je de saint Paul, nous laissant voir dans ses Épîtres la trace si marquée de ces prières presqu'incessantes, dans lesquelles il fait continuellement mention de ses frères de Rome, de Corinthe, de Philippes, d'Éphèse -- ou de saint Pierre, rendant à Dieu son culte matinal sur la terrasse de Joppe, entre l'infini de la mer et l'infini des cieux ?
(Suite 2ème partie ) La prière secrète et sa récompense publique par Ernest Dhombres
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