Jésus et la samaritaine ou réponse à une âme perdue
Par Ernest Dhombres
(Pasteur Protestant)
Or, il fallait qu'il passât par la Samarie. Il arriva donc à une ville de Samarie, nommée Sychar, près du champ que Jacob donna à Joseph son fils. Or, là était la source de Jacob. Jésus donc, fatigué du voyage, s'était ainsi assis près de la source ; c'était environ la sixième heure. Une femme de la Samarie vient pour puiser de l'eau. Jésus lui dit : Donne-moi à boire. Car ses disciples s'en étaient allés à la ville pour acheter des vivres. La femme samaritaine lui dit donc : Comment toi, qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi, qui suis une femme samaritaine ? (Car les Juifs n'ont point de relations avec les Samaritains.) Jésus répondit et lui dit : Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu l'aurais prié toi-même, et il t'aurait donné de l'eau vive. La femme lui dit : Seigneur, tu n'as point de vase pour puiser, et le puits est profond, d'où aurais-tu donc cette eau vive ? Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? Jésus répondit et lui dit : Quiconque boit de cette eau-là aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; au contraire, l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle. La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau-là, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser. Jésus lui dit : Va, appelle ton mari, et viens ici. La femme répondit : Je n'ai point de mari. Jésus lui dit : Tu as bien dit : Je n'ai point de mari ; car tu as eu cinq maris ; et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari ; tu as dit vrai en cela. La femme lui dit : Seigneur, je vois que tu es un prophète ! Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites, vous, que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. Jésus lui dit : Femme, crois-moi, l'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez point ; nous, nous adorons ce que nous connaissons ; car le salut vient des Juifs. Mais l'heure vient, et elle est maintenant arrivée, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car aussi, ce sont de tels adorateurs que le Père cherche. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité. La femme lui dit : Je sais que le Messie (celui qui est appelé Christ) vient ; quand celui-là sera venu, il nous annoncera toutes choses. Jésus lui dit : Je le suis, moi, qui te parle. Et là-dessus, ses disciples arrivèrent, et ils s'étonnaient de ce qu'il parlait avec une femme ; néanmoins, aucun ne dit : Que lui demandes-tu ? ou : De quoi parles-tu avec elle ? La femme laissa donc sa cruche et s'en alla à la ville, et elle dit aux gens : Venez, voyez un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait : ne serait-ce pas le Christ ? Ils sortirent de la ville, et ils venaient vers lui. (Jean 4.5-29)
D'émouvants souvenirs planaient sur les lieux où nous rencontrons aujourd'hui le Sauveur.
C'est là que l'antique Jacob avait creusé un puits profond « pour lui-même, et ses enfants et ses troupeaux. »
Là encore se passait au temps de Josué la grande scène des bénédictions et des malédictions prononcées par les Lévites, auxquelles les douze tribus d'Israël, groupées sur les deux montagnes d'Hébal et de Garizzim, répondaient par un Amen solennel.
Là enfin, après les désastres d'Israël, après la rupture de l'unité politique et de l'unité religieuse elle-même, s'éleva un temple rival de celui de Jérusalem où les Samaritains, Israélites schismatiques rendaient à Dieu un culte mélangé d'erreurs, dont le premier dogme semblait être la haine du Juif que celui-ci d’ailleurs leur rendait bien du fait de leur hérésie avec une réciprocité sans appel.
Mais à ces lieux pleins de souvenirs, va s'en attacher un nouveau qui effacera tous les autres.
C'est celui du divin Fils de Marie s'asseyant fatigué, altéré, au puits du patriarche et conversant dans un langage céleste, avec une femme de Samarie.
Et quand le voyageur, parcourant la Terre-Sainte, s'assiéra, la Bible à la main, au bord du puits de Jacob qui subsiste encore aujourd'hui ; ce qui se retracera irrésistiblement à son esprit et à son cœur, ce ne sera pas l'écho des bénédictions et des malédictions des Lévites, ce ne sera pas la haine entre des Samaritains et des Juifs ; mais ce sera la rencontre du Fils de Dieu et de la pécheresse de Sichar.
Il croira assister à leur entretien mémorable et il entendra les accents immortels de Jésus au milieu du silence du désert.
Soyons aujourd'hui, ce pieux voyageur !
Franchissant par la pensée la distance des temps et des lieux, contemplons tour à tour les deux interlocuteurs de ce merveilleux dialogue.
Faisons plus : devenons peu à peu l'un d'entre eux, substituons-nous à la Samaritaine et puissions-nous comme elle sentir s'allumer ou se rallumer en nous cette soif spirituelle que Jésus Seul peut apaiser !
Jésus, l'homme de l'Eternité dans le temps et du ciel sur la terre, voit sans cesse rayonner le monde invisible à travers le monde visible.
Il passe sans effort de l'un à l'autre, Il va de tout à Dieu et aux réalités éternelles.
En ce moment même, la vallée brûlante qu'Il traverse, le poids du jour qui l'accable, la soif qui le dévore, et ce puits qu'Il rencontre comme la Providence du désert, retracent à Son Âme cette autre Samarie desséchée et brûlante qui s'appelle la vie humaine, cette soif spirituelle qui consume tout enfant d'Adam...et cette eau vive que Lui Seul est venu apporter à nos âmes.
Mais, à l'inverse de Jésus, la Samaritaine ne peut s'élever des choses visibles aux choses invisibles : elle est comme enchaînée et rivée aux objets et aux sensations d'ici-bas.
Sous la couche épaisse d'une vie charnelle, sans religion et même sans moralité, ses instincts spirituels sont en quelque sorte morts et ensevelis.
Voyons plutôt : à une première parole de Jésus lui signalant une eau vive dont Il a le secret, elle répond :
« Tu n'as rien pour puiser et le puits est profond : d'où aurais-tu donc cette eau vive ? »
Jésus s'exprime plus clairement : Il distingue cette eau matérielle, insuffisante et passagère d'une onde spirituelle, intarissable, éternelle !...Elle ne comprend pas encore.
« Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je ne vienne plus ici pour en puiser. »
Pauvre femme ! Quelle ignorance ! Quelle impuissance à l'élever au-dessus de la région des sens !
Comment le Sauveur atteindra-t-Il cette âme si profondément engourdie !
Comment pourra-t-Il réveiller en elle cette soif spirituelle qu'Il présuppose puisqu'Il y fait appel, mais qui est comme anéantie sous le poids des instincts terrestres ?
Comment Il le pourra ?...
C'est Son Secret, qui s'offrira plus tard à notre admiration.
Demandons-nous pour le moment si cette soif que Jésus présupposait dans l'âme de la Samaritaine n'existe pas aussi dans les nôtres.
Elle s'y trouve ; mes frères et mes soeurs, elle constitue le fond même de notre nature.
L'homme porte en lui des désirs sans bornes et des aspirations immenses.
Le poète a dit vrai :
......Malgré moi, l'infini me tourmente !
Il faut au cœur humain, si fragile mais si vaste, cette satisfaction suprême qui s'appelle l'infini !
L'infini en connaissance, l'infini en amour, l'infini en durée, l'infini, c'est-à-dire le parfait en morale, l'infini en bonheur,...il lui faut la plénitude de la vie !
C'est avec ce cœur avide et palpitant que le jeune homme s'élance vers l'avenir, tenant en main une coupe large et profonde où il s'apprête à recueillir toutes les félicités dont l'attrayante image semble flotter devant lui dans un ciel d'azur.
Le monde s'avance au-devant du jeune homme et, inclinant vers lui mille amphores brillantes, il s'offre à remplir sa coupe.
Que de promesses ! Que de jouissances !
Voici l'indépendance, ce rêve de l'enfant, cette possession enivrante du jeune homme.
Voici les plaisirs, les fêtes, les joyeux amis.
Voici les arts et leur magie.
Voici la science et ses premières conquêtes.
Voici la gloire et ses premières fumées.
Voici les affections du cœur avec leur charme pur ou leurs brûlants transports !...
Cœur avide, es-tu désaltéré ?...
Pourquoi cependant cette agitation, cette poursuite d'objets toujours nouveaux, ces coupes succédant à d'autres coupes ?
N'aurais-tu pas rencontré ce calice que tu rêves, ce calice auquel tu pourrais puiser à longs traits une eau toujours fraîche et pure, sans déception ni remords ?...
Des déceptions, des remords, en aurais-tu déjà éprouvé ?...
On le dirait à voir certaines ombres qui passent sur certains fronts...
Mais le temps fuit..., la riante matinée de la jeunesse a fait place au midi brûlant de l'âge mûr.
Le monde s'avance avec d'autres breuvages pour remplir notre coupe.
Suite
(Jésus et la samaritaine ou réponse à une âme perdue)