DONNE-MOI TON COEUR
ou
DIEU DEMANDANT
LE COEUR DE L'HOMME
(par Adolphe Monod)
« Mon Fils, donne-moi ton coeur.
(Prov. XXIII, 26.)
Pour lui, donner son coeur à Dieu, « ce coeur d'où procèdent les sources de la vie, » ce n'est pas seulement une obligation de la piété, c'en est le fond même, c'en est le commencement, le milieu et la fin.
C'est le caractère non équivoque d'une conversion véritable.
Vous me dites qu'un homme a cru à l'Évangile de grâce : c'est bien.
Mais y a-t-il cru d'une foi vivante ? qu'il fait une profession irréprochable ?
Mais cette profession est celle sincère ? qu'il tient une conduite exemplaire devant ses semblables ?
Mais cette conduite est-elle sainte devant Dieu ? qu'il est à la tête des oeuvres chrétiennes ?
Mais y apporte-t-il un esprit chrétien ?
Mais dites-moi qu'il a donné son coeur à Dieu : toute autre question est superflue ; la foi, les oeuvres, la grâce, la sainteté, la nouvelle création, tout est là.
Eh bien ! ce tout de l'Évangile, vous qui ne l'avez pas, et qui sentez en vous-même qu'il vous manque (car c'est vous seul que j'en veux faire juge), il s'agit de savoir aujourd'hui si vous voulez enfin vous en mettre en possession.
Je ne m'arrête pas à vous demander si vous croyez à l'inspiration des Écritures, à la vérité de l'Évangile, à la divinité de Jésus-Christ, à la grâce qui réside en lui : je n'en ai pas le loisir, ni ne pense en avoir besoin.
La religion résumée dans le coeur donné à Dieu, cela est si simple, si beau, si vrai, que ces quatre mots :
« donne-moi ton coeur, »
contiennent une apologétique tout entière.
Qui ne sentirait pas battre dans cet appel le coeur du vrai Dieu, serait un homme sans coeur, sur lequel tous nos discours seraient perdus.
Mais vous qui avez un coeur, et qui entendez Dieu dans mon texte, placez-vous sans distraction devant la question pratique qu'il soulève, et dites si vous voulez donner votre coeur au Dieu de Jésus-Christ.
Et à, qui donc le donnerez-vous, si vous ne le lui donnez ?
« Donne, mon fils, ton coeur à moi : » à moi, en qui seul ton coeur peut se reposer, et à qui il aspire sans le connaître.
Mélange incompréhensible d'incrédulité et de foi, le coeur irrégénéré a toujours, comme la ville d'Athènes, un autel élevé « au dieu inconnu, » qu'il « cherche comme en tâtonnant quoiqu'il ne soit pas loin de chacun de nous, puisque c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous sommes. »
Eh bien, ce Dieu inconnu est celui que je vous annonce, » comme saint Paul aux Athéniens.
Tout ce que votre coeur réclame pour se donner sans réserve, et qui, manquant à toutes les créatures, l'a empêché de se donner ainsi à aucune d'elles, il le trouve dans le Dieu de Jésus-Christ, sans qui il ne verrait jamais ses besoins satisfaits.
Que dis-je? Sans qui il n'en serait jamais bien éclairci, car ce Dieu vivant les satisfait et nous les révèle tout à la fois.
Prenez, entre les créatures, ce que vous connaissez de plus aimable et de plus aimé.
N'est-il pas vrai que vous ne pouvez essayer de vous livrer à son amour, sans trouver bientôt une barrière qui arrête' impitoyablement l'élan de votre coeur, et qui semble vous dire, avec un défi amer :
« Tu viendras, jusqu'ici, tu n'iras pas plus loin ? »
Pourquoi cela? C'est que cette créature est mortelle.
Pas un jour au matin duquel vous n'ayez sujet de vous dire :
« Elle peut m'être enlevée avant que le soir soit venu. Pour que cette forme visible qui est « le plaisir de mes yeux et le désir de mon âme (*8), »
aille s'ajouter à « ces ossements de morts et à cette impureté» qui s'entassent, de génération en génération, dans le sein du sépulcre (*9).
Que faut-il? Vous ne savez - c'est une question de temps .....
Mais si vous pouviez donner votre coeur à un objet dont rien au monde ne vous dût séparer, et auquel il vous fût permis de vous livrer avec la joie de la vie, avec la fraîcheur de la vie, avec la sûreté de la vie, avec la puissance immortelle de la vie !
Eh bien, ce Dieu que je vous annonce est ce que votre coeur demande :
« Il est le même hier, aujourd'hui, éternellement. »
Tenez-vous à lui, il ne vous échappera point.
Appelez-le, il vous répondra toujours.
Comptez sur lui, il ne vous manquera jamais; et quand vous viendrez à “manquer” vous-même, ce sera pour aller ailleurs le contempler sans voile, et vous unir à lui sans empêchement.
Pourquoi encore?
C'est que cette créature, fût-elle immortelle, est finie. Comment répondrait-elle aux besoins infinis de votre coeur?
Renfermée dans les étroites limites de la chair, contrainte dans sa volonté, bornée dans ses lumières, également incapable et de témoigner tout ce qu'elle sent, et de sentir tout ce que votre coeur attend du sien, qui est-elle pour vous suffire ?
Dans un moment d'entraînement peut-être, touché de tant de dévouement, de tant d'attraits, de tant de mérites divers, vous pensez n'avoir rien à désirer dans votre bonheur que de le voir continuer.
Mais le moment d'après, rentré en vous-même et revenu de vos tendres illusions, ce cri vous échappe, en dépit de vos efforts pour le comprimer.
Et pourtant, ce n'est pas cela; mon coeur demande autre chose !...
Eh bien, cet autre chose, cet infini qui remplira, qui débordera toute la capacité de votre coeur, vous le trouverez dans le Dieu que je vous annonce; dans ce Dieu, qui possède sans mesure la lumière, la puissance, la vérité, la vie.
Que dis-je?
Qui est lui-même tout cela, et du sein duquel découle, comme d'un trésor inépuisable, tout ce qui sur la terre a quelque part à ces noms sacrés.
Fragments disséminés de « celui qui est (*10),» la lumière, la puissance, la vérité, la vie, vous ramènent toutes à Dieu, comme autant de ruisseaux divergents à leur source commune; et en vous attachant à lui, vous recueillerez la variété infinie de tous les dons, dans une immuable unité.
Pourquoi enfin ?
C'est que cette créature est pécheresse, et réduite à dire avec vous, pour peu qu'elle se connaisse :
« Je sais qu'en moi n'habite aucun bien. »
Et vous pourriez vous abandonner à elle sans réserve?
Quoi ! cette créature déchue, pour qui vous avez à solliciter le pardon de Dieu comme pour vous, en qui vous retrouvez le même combat de l'Esprit contre la chair qui se livre en vous, chez qui vous avez à supporter chaque jour les infirmités et les faiblesses qu'elle a à supporter chez vous, c'est en elle que vous devriez chercher, que vous pourriez trouver ce que votre coeur demande !
Oh ! L'indigne pensée !
Donnez de l'air à ce malheureux qui se débat contre une atmosphère privée du principe de la vie.
Donnez du jour à ce prisonnier qui gémit dans un cachot souterrain loin de la douce clarté du soleil.
Donnez du pain à qui a faim, de l'eau à qui a soif - et donnez au coeur de l'homme, pour objet de son attachement suprême, un être « saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, ».
Tel enfin que son amour soit la sainteté du coeur, et son service la sainteté de la vie !
Eh bien, à ces traits, comment méconnaître le Dieu que je vous annonce ?
Oui, ma soeur, mon frère, donnez, donnez votre coeur au Dieu de Jésus-Christ.
Ce Dieu éternel, ce Dieu infini, ce Dieu saint, est seul fait pour votre coeur, et votre coeur pour lui seul(**11).
C'est lui que votre coeur réclamait, avant de l'avoir connu.
Et combien plus le réclamera-t-il, s'il a commencé de le connaître ?
C'est assez que vous l'ayez seulement entrevu, pour qu'il vous soit désormais impossible de vous reposer ailleurs qu'en lui.
Le coeur de l'homme est ainsi fait grâces en soient rendues à celui qui l'a formé ! qu'il ne peut arrêter son attachement nulle part, s'il conçoit la possibilité de le porter plus haut.
Vous aurez beau remonter toute l'échelle des créatures, de plus digne en plus digne, quelque chose vous pressera toujours de monter encore ; toujours, vous entendrez, comme les deux témoins de l'Apocalypse, une voix du ciel vous disant : « Monte ici (*12);» et tant qu'il y aura un Dieu dans l'univers, rien de moins ne saurait contenter votre coeur.
Lui, ou personne !
Lui, ou un vide affreux et un dégoût amer !
Je dis plus : Lui pour la joie de votre coeur, ou lui pour son tourment !
Sa charité ne saurait vous permettre aucun repos loin de lui.
Votre ivresse ? Il la dissipera.
Votre entraînement ? Il le glacera.
Votre coupe de délices ? Il l'empoisonnera.
Vos attachements idolâtres ? Il appellera contre eux la séparation, la maladie, la mort - jusqu'au jour que, dépris de la créature, vous vous jetterez enfin, fût-ce de fatigue, de soif, de désespoir, dans son sein paternel, et que vous apprendrez à vous écrier avec le Psalmiste :
« Quel autre ai-je au ciel? Aussi n'ai-je pris plaisir sur la terre qu'en toi seul. Que mon coeur et ma chair soient consumés: Dieu est le rocher de mon coeur et mon partage à toujours" (*13) »
C’est là mon partage, parce qu'il est le rocher de mon coeur, où ce coeur peut appuyer de tout son poids sans craindre de le voir céder jamais !
« Donne, mon fils, ton coeur à moi »: à moi, qui, avant de te le demander, ai commencé par te donner le mien.
L'amour appelle l'amour; et cet appel est le plus irrésistible de tous.
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-8. Éz. XXIV, 16, 21, 25, version littérale.
.-9. Mat. XXIII, 27.
-10. Ex. III, 14.
-11. « Il y a une place vide dans le coeur de l'homme, et Dieu seul la peut remplir » (Erskine).
.-12. Apoc. XI, 12.
-13Ps. LXXIII, 25, 26.