Texte que Refuge Protestant
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"J’aborde ici une question qui est singulière: une nouvelle forme et occasion de l’antisémitisme. Il y a eu l’antisémitisme religieux, puis l’antisémitisme politique, et l’antisémitisme démoniaque (de l’État hitlérien).
Il y a une permanence de l’antisémitisme.
On pourrait penser que ce thème n’est pas vraiment théologique, mais, en réalité, ce sont des chrétiens relativement nombreux qui, d’une part, sont antisionistes, avec beaucoup d’énergie, et se déclarent par contre tout à fait antiracistes, donc hostiles à l’antisémitisme. Il leur importe alors au maximum de prouver qu’être antisioniste, ce n’est pas être antisémite.
Remarquons d’ailleurs que ce dernier terme est assez ambigu. En effet, on ne peut pas assimiler Sémites et Juifs.
Les Arabes aussi sont des Sémites.
Nous l’avons rencontré dans un livre violemment anti-israélien :
« On ne peut pas nous accuser d’être antisémites, puisque nous sommes tout à fait pro-arabes, et que les, Arabes sont des Sémites» ! souvent repris depuis 1968 !
Et, par conséquent, on peut être philosémite en détestant les Juifs mais en aimant beaucoup les Arabes.
En réalité, l’hitlérisme était violemment antijuif mais non pas antisémite au sens général, puisque, par exemple, Hitler a accepté l’aide des Palestiniens lorsque, en 1943, le Grand Mufti de Jérusalem a fait profession de foi nazie et s’est rangé du côté des hitlériens.
Ce sont des petits faits de cet ordre qu’il ne faut pas oublier.
Cependant, conservant l’usage courant, je parlerai ici d’antisémitisme au sens d’antijudaïsme.
Le principal argument, qui est théologique, pour séparer Israël et le peuple juif est simple : si nous relisons l’Ancien Testament, nous y trouvons constamment l’affirmation que c’est le Dieu d’Israël qui accomplit toutes choses, et que l’homme ne doit pas troubler l’œuvre de Dieu par ses actions intempestives (l’exemple bien connu d’Abraham qui décide d’accomplir par ses propres moyen la promesse de Dieu dont la réalisation se fait attendre).
Mais cette orientation générale prend une force toute particulière en ceci : c’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui est la seule arme, la seule puissance, la seule forteresse, la seule protection d’Israël.
Celui-ci doit mettre toute sa confiance dans la garantie de Dieu.
C’est en étant ainsi dépouillé d’armes et de moyens que le peuple de Dieu manifeste à la fois sa confiance entière, exclusive, envers Dieu et permet à celui-ci de révéler aux yeux des peuples qui il est.
Dieu choisit l’homme sans forces et sans moyens pour faire éclater sa propre gloire ! S’il choisissait un peuple puissant, guerrier, des rois glorieux et riches, toutes les confusions seraient possibles : l’homme attribuerait !a victoire à ces moyens humains et non pas à la seule action du Dieu Tout-Puissant.
C’est ainsi qu’il choisit David pour abattre Goliath plutôt que le meilleur combattant juif.
La vraie puissance d’Israël, c’est sa foi dépouillée de moyens humains, c’est la présence de la Parole de Dieu implantée au milieu de lui. Cette grande leçon est fort entendue par les antisionistes.
(II est d’ailleurs curieux de constater que les mêmes qui n’attachent aucune importance aux prophéties qui promettent à Israël le retour dans la terre Promise, et qui considèrent que ce sont là des textes historiques, localisés, datés, visant par exemple la déportation à Babylone, s’attachent au contraire avec la plus grande ferveur aux textes des mêmes prophètes lorsqu’ils contiennent de furieuses condamnations contre le peuple juif, lorsqu’ils annoncent échecs et châtiments; ce choix dans les textes est pour le moins suspect !).
Dès lors, on applique donc ces prophéties sur l’Israël des successeurs de Salomon à l’Israël moderne.
On fait la leçon aux Juifs.
On aime beaucoup ces Juifs, on leur reconnaît une vocation spirituelle, on se reconnaît soi-même en tant que « Sémite spirituel ».
on se dresse avec énergie contre toute reprise du racisme nazi, on cherche une relation oecuménique avec les Juifs et la synagogue, mais on leur rappelle vertement que, lorsqu’ils veulent devenir une nation, lorsqu’ils entretiennent une armée, lorsqu’ils font la guerre, lorsqu’ils accroissent leur puissance, ils tombent à nouveau sous le coup des condamnations prophétiques qui ne sont pas épuisées, et le pire, c’est qu’ils trahissent leur vocation spirituelle qui leur avait été confiée par Dieu.
Ils sont infidèles à leur élection et à l’alliance. Ainsi l’Israël moderne, politique et guerrier est la négation de l’Israël véritable et spirituel.
Et ce qui, aux yeux de ces chrétiens antisionistes, vient confirmer leur opinion, c’est justement l’agressivité des nations contre l’Etat d’Israël, celui-ci est mis au ban des nations du monde, condamné par les organisations internationales: ceci confirme exactement les prophéties !
Donc, il faut supprimer l’Etat d’Israël, juger le sionisme comme démoniaque et ramener le peuple juif à son authenticité et à son témoignage spirituel, car Israël n’est plus le peuple de Dieu quand, à son tour, il combat, tue et opprime.
Et, n’étant plus peuple de Dieu, non seulement il peut s’attendre à la colère de Dieu, maïs nous, nous devons le traiter comme n’importe quelle autre nation, sans amitié particulière, sans fraternité.
Objectivement, théologiquement, hors des réalités contingentes, cette évaluation, ces jugements sont indiscutables.
Mais ils appellent deux ordres de réflexions; le premier : ceux qui font cette analyse devraient soigneusement réfléchir à la parabole de Jésus sur la paille et la poutre.
Les chrétiens qui parlent ainsi sont ultra-favorables aux Palestiniens, et eux-mêmes participent à des mouvements politiques qui ne me semblent en rien favorables à l’esprit de paix évangélique.
Ils devraient considérer l’énormité de distance entre leur attitude et l’enseignement de Jésus avant de faire la leçon à Israël sur sa désobéissance à son Dieu.
Mais le plus important, c’est ceci: toutes ces choses, peut-être vraies, seul un Juif peut les dire à son peuple.
Un chrétien n’a absolument pas le droit de se servir des textes de l’Histoire et de la Révélation d’Israël pour condamner Israël.
Ce n’est pas nous, chrétiens, qui avons à ramener Israël dans sa fidélité.
Seul un Juif participant aux risques et au calvaire d’Israël pourrait rappeler cette vérité fondamentale que l’Eternel est le seul rempart et la seule puissance du peuple élu.
Mais nos intellectuels chrétiens installés à Paris n’ont qu’à se taire.
Ils n’ont rien à voir dans les démêlés entre Dieu et son peuple.
Et si (ou: quand) un Juif parle ainsi (certains de ceux que l’on appelle les colombes (nota Refuge Protestant : colombes aussi anticléricales que nombres de ceux anti israéliens de nos propres pays), nous n’avons pas le droit de nous servir non plus de leur parole pour accuser Israël.
Ils pourraient aussi se rappeler l’aventure arrivée à un certain prophète étranger qui avait été convoqué par un roi ennemi d’Israël pour maudire Israël au nom même de son Dieu.
Et voici que l’Eternel avait bien voulu parler à ce prophète … mais par trois fois ce fut pour l’obliger à bénir Israël… !
Eh bien, ces angéliques évangéliques qui se prennent pour des prophètes devraient savoir que s’ils l’étaient ils seraient chargés par le Dieu de Jésus Christ de bénir Israël et de prier pour lui, au lieu de lui faire la leçon et d’aider à l’assassiner.
Leur parole même atteste qu’en racontant leur bonne théologie ils sont parfaitement étrangers à la Révélation de Dieu et à l’alliance.
Mais quand on écoute ces discours, on est bien obligé de penser à la cruelle formule selon laquelle le Juif que l’on aime bien, que l’on est prêt à défendre, le Juif contre qui on n’a aucun sentiment antisémite, c’est le Juif qui se laisse massacrer.
Le Juif, éternelle victime. Juif errant, bouc émissaire, c’est celui-là que l’on approuve, que l’on désire, quand les mêmes antisionistes manifestent bruyamment contre le racisme et l’antisémitisme.
Ou encore en faveur du Juif qui a renié sa judéité, qui est parfaitement assimilé.
Ce Juif qui est complètement français, on est scandalisé que l’on veuille lui chercher des poux dans la tête.
Et c’est d’ailleurs pour cela que l’affaire Dreyfus ne me paraît pas du tout un test : Dreyfus était un Juif parfaitement assimilé, aussi peu juif que possible, alors, bien sûr, on l’aime bien.
Il n’a plus rien de juif sinon ses ancêtres… !
Et être pour Dreyfus dans ces conditions ne signifie strictement rien quant aux vrais sentiments que l’on peut avoir pour le vrai Israël.
Non, c’est en face du rabbin dur et pur maintenant sa rigueur théologique, c’est envers les Juifs pieux de Mea Schearim, c’est envers l’Israël armé qu’il faut savoir si oui ou non nous acceptons le Juif et tendons vers lui la main de paix.
Ce que nous ne supportons pas, c’est le Juif qui se défend, qui est capable de combattre pour sa vie, celle de son peuple ou celle de sa foi.
Et c’est là que se situe la seule épreuve susceptible de tester notre anti-antisémitisme.
Le reste est de l’ordre du discours pieux parfaitement vide et auto-justifiant."
Jacques Ellul,
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