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Vie Protestante Réformée

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Jean Calvin

"Puisque Dieu, par conséquent, nous justifie par la Médiation du Christ, Il nous Acquitte, non pas par l'aveu de notre innocence personnelle, mais par une imputation de la justice ; de sorte que nous, qui sommes injustes en nous-mêmes, sommes considérés comme Justes en Jésus Christ."

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10 mars 2020 2 10 /03 /mars /2020 22:59
Hypocrisie, vice et vertu à la Lumière de l'Evangile

L’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu. De prime abord, ce vieux dicton peut paraître obscur.  Il signifie que l’hypocrite, en déguisant ses vices et en tâchant de paraître vertueux, reconnaît à sa manière la supériorité de la vertu sur le vice, puisqu’il préfère qu’on le prenne pour vertueux, alors même qu’il ne l’est pas et le sait très bien.

On peut toutefois se demander si dans un monde où les notions de vice et de vertu sont devenues bien floues, voire ont été quasiment abolies, il y a encore une place pour l’hypocrisie.  Dans ce monde qui n’est même plus immoral, mais amoral, où les notions de bien et de mal s’estompent à grandes enjambées, où tout se vaut et donc où rien ne devrait plus être qualifié de vicieux, il n’y a plus de place pour l’hypocrite, dans la mesure où il n’existe plus aucune façade, plus aucune barrière.  Pourquoi donc faudrait-il se déguiser ?

Définir l’hypocrisie, sur quel fondement ?

Et pourtant, aujourd’hui, l’hypocrisie est dénoncée en boucle par les uns et les autres sur tous les modes et dans tous les médias, particulièrement en ce qui concerne les affaires de scandales sexuels, dont l’actualité regorge: viols, pédophilie, harcèlement sexuel dans le monde professionnel, exhibitionnisme sur les réseaux sociaux ou divulgation de vidéos censées rester privées, que sais-je encore.  Sans vouloir limiter ici le champ d’application de l’hypocrisie à cette sphère bien particulière, on la prendra pour repère dans la mesure où elle fait justement l’objet de tant de discours publics.  Or, si elle est dénoncée à tout va, c’est que l’hypocrisie n’est pas morte, ni même à l’agonie !  Peut-être tente-t-elle de se cacher, il faut donc aller la débusquer et la mettre en lumière, ce à quoi s’attacheront avec toute l’énergie dont ils sont capables des détecteurs et décrypteurs d’hypocrisie. Or c’est là que se situe le dilemme: par rapport à quelle norme réelle ou supposée est-on hypocrite ? S’il n’y a aucun accord sur cette norme, comment pouvons-nous accuser un tel d’être un hypocrite? Il faudra bien se mettre quelque part d’accord sur ce que signifie l’hypocrisie et sur ce qui la définit précisément.  

Suffit-il de ne pas vivre en accord avec ce que l’on professe pour être dénoncé comme hypocrite?  Dans ce cas, tout pervers assumé arrêtant momentanément d’agir de manière perverse devrait être taxé d’hypocrite.  A l’opposé, il est courant de voir toute personne qui maintient fermement son attachement à des normes éthiques transcendantes, comme le Décalogue, soupçonnée d’emblée d’hypocrisie, pire, de « puritanisme », insulte suprême en France, d’autant que le terme renvoie au monde anglo-saxon, qu’on aime bien faire passer chez nous pour essentiellement hypocrite. Cela nous permet sans doute de nous dédouaner à bon compte de nos propres vices… Mais demandez donc à ceux qui utilisent les mots « puritain » ou « puritanisme » avec l’intention de caractériser la plus laide des hypocrisies, s’ils ont jamais lu un seul auteur puritain du dix-septième siècle – John Owen ou Richard Baxter, pour n’en citer que deux –, voire s’ils ont jamais entendu parler d’un seul auteur puritain de cette époque.  Ils en seront bien en peine (ne sachant déjà distinguer entre « puritanisme » et « victorianisme »). Est-ce faire preuve d’un esprit critique chagrin que de demander sur quoi exactement repose ce jugement moral par excellence qui consiste à dénoncer toute forme de puritanisme ?  Cela ne peut être assurément qu’au nom d’un idéal du beau et du bien infiniment supérieur à celui des puritains tels qu’on les imagine (ou fantasme) et qu’on dénonce. Mais à quoi exactement ressemble donc cet idéal de la vérité, du bien, de la transparence qu’on avance pour s’opposer à sa caricature supposée ?

Lutter sincèrement, dans l’humilité devant son Dieu, contre telle ou telle tentation, contre des pulsions qu’on sait non seulement nocives pour soi-même ou pour son prochain, mais surtout détestables aux yeux du Seigneur que l’on sert, constitue-t-il en soi une tartufferie caractérisée, une tromperie vis-à-vis de soi-même et surtout des autres?  Certes, sans doute aux yeux du marquis de Sade, lui que certains milieux qualifient volontiers de « divin marquis » nous ayant appris, et bien d’autres à sa suite, à vivre au-delà du bien et du mal.  Les hypocrites seraient-ils alors par définition les « attardés » qui se réfèrent encore à une norme transcendante, sans savoir ou pouvoir la mettre en pratique, tandis que ceux qui s’en sont libérés, eux, ne sauraient par définition jamais être taxés d’hypocrisie (la nouvelle béatitude devenant alors : « bienheureux ceux qui ne connaissent ni le bien ni le mal » ?) Qu’il serait facile – et futile – de se réfugier derrière un tel faux-semblant.  Les affaires mises en exergue par les médias, les torrents d’indignation déversés à droite ou à gauche, témoignent bien de ce que quelque part, quelque chose comme la conscience est mis à mal.  Un prurit de pureté est à l’œuvre, qui mérite bien qu’on se demande quels en sont les tenants et les aboutissants car il s’oppose au relativisme global évoqué plus haut, dont il semble essayer de s’extirper.

Par ailleurs, peut-on être dénoncé comme hypocrite sans qu’aient été avancés des témoignages incontestables d’une contradiction insupportable entre vie cachée et paroles publiques, entre la réalité et l’apparence ? Dans le cas contraire, ne se rend-on pas coupable de faux-témoignage envers son prochain ? Et que fait-on de ceux qui intervertissent les notions de bien et de mal en prétendant qu’elles ne peuvent être définies comme elles l’étaient jadis, et qui, au nom de cette inversion/perversion, commettent des crimes hideux tout en se réclamant de leur propre notion du bien (est bien ce que je considère bon pour moi)?  Quelle réponse donner à ceux et celles qui prétendent que ces notions de bien et de mal sont destinées à tourner comme une girouette au gré des vents changeants de la mode culturelle? On se justifiera à bon compte en soutenant qu’à l’époque on ne considérait pas cela comme si mal, c’était acceptable, aujourd’hui c’est devenu inacceptable – dont acte – le tout en espérant secrètement que, le vent ayant à nouveau tourné demain ou après-demain, la girouette nous indiquera que c’est redevenu acceptable, et que les lendemains printaniers qui sifflotent sont de nouveau avec nous.  Et puisqu’on en est à « décrypter », les décrypteurs professionnels s’efforceront de décrypter les hiéroglyphes du vice et de la vertu, les arcanes météorologiques des dépressions et des anticyclones qui les font venir ou les détournent de notre paysage sociétal et culturel.

Il est cependant un point que l’on ne soulève guère dans tous ces débats et invectives sur l’hypocrisie en matière sexuelle: on ne peut à la fois se faire le défenseur inconditionnel de notre héritage gréco-romain,  avec sa tradition d’homosexualité et d’éphébophilie depuis Le Banquet de Platon, tradition dont se sont réclamés nombre de littérateurs ou d’artistes au nom de cette même civilisation, au nom aussi d’une liberté jouissive sans entraves pour l’individu-roi libéré des vieux préjugés moralisants; et en même temps se réclamer de l’héritage judéo-chrétien, qui nous a tout autant marqués, n’en déplaise aux négateurs de mauvaise foi. Athènes ou Jérusalem, sur un certain nombre de sujets, il faut choisir. Les contorsions dialectiques prétendant réunir des thèses et des antithèses bel et bien irréconciliables en synthèses qui seraient acceptables pour la raison, ont amplement démontré leurs limites.

L’accomplissement de la Loi par le Christ, épicentre de l’Évangile

Certes, se réclamer de Jérusalem tout en foulant aux pieds les normes et principes les plus élémentaires de l’éthique chrétienne, relève mille fois de l’hypocrisie au sens traditionnel du terme, toutes chapelles chrétiennes confondues.  Aucune de celles-ci ne saurait tolérer le moindre doute à ce sujet et rester les bras ballants face à des dérives internes. Mais la révélation de cette hypocrisie devrait surtout remettre en lumière les notions de bien et de mal reposant sur la Loi divine, et non tâcher de les abolir, sous peine de nier ce qui fonde l’existence même de ces communautés.

Or, s’il est un épicentre du message du Christ, c’est certainement sa déclaration selon laquelle il n’est justement pas venu pour abolir cette Loi (comme hélas beaucoup tentent de le faire croire par toutes sortes de ruses herméneutiques, même parmi ceux qui se réclament de lui), mais bien pour l’accomplir (Matthieu 5:17). Et le commandement qu’il adresse -toujours dans le Sermon sur la Montagne- à ceux qui veulent être ses disciples, demeure d’actualité :  Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors, tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère (7:5)La meilleure preuve que ce commandement demeure d’une actualité brûlante est que la fameuse comparaison entre la paille et la poutre est passée dans l’usage courant et la sagesse proverbiale: elle est autant citée par les chrétiens que les non-chrétiens (comme tant d’autres paroles tirées de la Bible d’ailleurs, souvent citées de manière tronquée, ce qui est une forme de dissimulation, soit dit en passant).  Jérusalem parle donc encore aujourd’hui à la conscience de notre société, et la norme qui provient de son sein résonne toujours parmi nous; sa voix n’a pas été complètement étouffée ! Mais cette voix qui résonne à travers l’appel à la sagesse proverbiale, ne nous parvient-elle pas de manière déformée ?

A l’époque de Jésus, l’upokritès était en premier lieu l’acteur du théâtre grec cachant son visage derrière un masque, tragédien ou histrion.  Le mot « hypocrite » apparaît vingt fois dans le Nouveau Testament, dont sept – chiffre symbolique s’il en est dans la Bible  –  dans le fameux discours de censure des scribes et des pharisiens par Jésus en Matthieu 23.  Le mot « hypocrisie », lui, apparaît six fois, en particulier dans la lettre de Paul aux églises de Galatie (2:11-14), en conjonction avec le verbe agir avec hypocrisie, appliqué par l’apôtre dans une circonstance particulière de dissimulation, non seulement à un groupe de juifs convertis à Christ, mais même à l’apôtre Pierre et à Barnabas, qui était pourtant son fidèle compagnon d’œuvre dans la mission…  Qui peut soutenir que les écrits du Nouveau Testament cherchent à dissimuler (la marque même de l’hypocrisie !) des attitudes peu glorieuses qu’ont pu avoir par moments certains des plus zélés serviteurs de l’Évangile ?

Au bal contemporain des hypocrites, dont les visages sont cachés par toutes sortes de masques de carnaval vénitien, dialectiquement interchangeables selon les heures et les situations – summum de l’art et du divertissement esthétique ! -, beaucoup aimeraient s’abriter derrière les paroles de Jésus, comme si celles-ci leur fournissaient à leur tour un masque de carnaval adapté à la minute présente de leur discours. Mais le Christ n’est pas dupe de ces faux-semblants, pas plus aujourd’hui qu’il ne le fut au temps de son incarnation (par exemple en Marc 12:13-15). Gardez-vous du levain des Pharisiens, qui est l’hypocrisie, déclare-t-il à ses disciples en Luc 12:1-3.  Il n’y a rien de caché qui ne doive être révélé, ni de secret qui ne doive être connu.  C’est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu en plein jour et ce que vous aurez dit à l’oreille dans les chambres sera prêché sur les toits.

Il est parfaitement hypocrite de se réclamer du discours de Jésus contre l’hypocrisie et les hypocrites dans le but inavoué de se conférer une autorité morale fondée sur quelques réminiscences de Jérusalem, tout en s’obstinant à amputer ce même discours de tout ce qui en fait la force et lui donne son autorité : l’accomplissement de la Loi par Jésus-Christ selon les termes de l’Évangile.  Disons-le sans ambages : sur le plan de l’éthique, Athènes n’a que faire de Jérusalem. Bien qu’elle semble ne pas pouvoir s’en passer (ou s’en dépêtrer complètement – poids de l’histoire oblige), en son for intérieur, elle la vomit intégralement.  Et pour quelle raison ? Parce que Jérusalem, celle de Jésus, proclame de tout temps la corruption totale de la nature humaine en état de Chute et sa perdition en tant que telle; la nécessité d’une repentance non feinte devant Dieu ; le salut par la Grâce divine à travers la personne et l’œuvre d’un seul Médiateur, le Christ ; le renouvellement complet de notre être profond par l’Esprit de Dieu, manifesté progressivement en fruits visibles. Parce que Jésus nous rappelle que les deux plus grands commandements sont indissociables l’un de l’autre, comme le sont les deux tables du Décalogue, et que le commandement d’aimer son prochain comme soi-même dépend entièrement du premier qui consiste à aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée (Matthieu 22:37-40, reprenant Deutéronome 6:5 et Lévitique 19:18).

Sous quel éclairage mettre en lumière ?

Il n’y a rien de caché qui ne doive être révélé, ni de secret qui ne doive être connu.  C’est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu en plein jour et ce que vous aurez dit à l’oreille dans les chambres sera prêché sur les toits.

Cette parole résonne avec une intensité particulière aujourd’hui, dans la mesure où dans les débats qui font rage sur les affaires et scandales précités, c’est souvent leur mise en lumière dans la sphère publique qui devient le sujet de contention.  C’est même cela que l’on dénonce volontiers comme attitude hypocrite: le fait, insistera-t-on,  de vouer à la vindicte publique l’individu dont les actes ont été mis en lumière, alors que ceux-ci relèvent de sa pure liberté dans la mesure où ils ne sont pas condamnables pénalement, ou qu’il y a prescription.  On dénoncera ainsi ceux qui s’acharnent sur la victime médiatisée en suggérant – mais sans nécessairement démontrer – qu’ils ne sont eux-mêmes pas exempts de toute pratique que leur conscience doit pourtant réprouver (puisqu’ils la dénoncent chez un autre).  La mise en lumière des actes d’un tel deviendrait donc une sorte d’exutoire par le biais d’un lynchage médiatique, dans la recherche et la mise à mort symbolique d’un bouc émissaire bien commode; une forme de catharsis collective en quelque sorte.  Même s’il comporte de sérieuses faiblesses, on ne peut certes rester insensible à un tel argument.

La mise en lumière dont parle Jésus revêt quant à elle une dimension eschatologique. Elle concernera tout homme et toute femme depuis le début de l’humanité et jusqu’à la fin.  Quel doit alors être le rapport entre cette mise en lumière au jour J et une vie dans la lumière aujourd’hui ?

Pour les disciples du Christ, un passage de la lettre de Paul aux chrétiens d’Éphèse éclaire tout particulièrement ce rapport (5:8-13) : Autrefois, en effet, vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur.  Marchez comme des enfants de lumière ; car le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité.  Examinez ce qui est agréable au Seigneur ; et n’ayez rien de commun avec les œuvres stériles des ténèbres, mais plutôt dénoncez-les.  En effet ce que ces gens font en secret, il est honteux même d’en parler, mais tout cela une fois dénoncé apparaît à la lumière, car tout ce qui apparaît est lumière.  Les gens dont il est question ont été mentionnés par Paul juste auparavant (v. 5-6): Car sachez-le bien, aucun débauché, impur ou cupide, c’est-à-dire idolâtre, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu.  Que personne ne vous séduise par de vains discours ; car c’est pour cela que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion.

Si cette catégorie de personnes est largement répandue dans le monde en général, l’avertissement apostolique se réfère à ceux qui tâcheraient de se joindre à la communauté des croyants, et que celle-ci accepterait en son sein, alors qu’ils poursuivent dans leur voie débauchée, impure ou cupide.  Une mise en lumière à cet égard est nécessaire, par souci de justice et de vérité, afin aussi que la communauté ne soit pas progressivement entraînée dans ces voies, renonçant alors à ce qui doit la caractériser aux yeux de tous, à l’intérieur comme à l’extérieur.  Cette mise en garde, en vue de la protection du corps de l’Église, a justement pour but d’exclure – autant que faire se peut – toute forme d’hypocrisie en son sein, au moyen de l’exclusion de certains de ses membres, si besoin est.

Savoir distinguer spirituellement entre la paille et la poutre

Pour revenir à la paille et la poutre, notons bien que Jésus ne confond pas la grosseur d’une paille avec celle d’une poutre.  Il n’enseigne pas non plus qu’on ne devrait jamais reprendre son frère, qu’on devrait juste fermer les yeux sur son comportement, quel qu’il soit.  Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul.  S’il t’écoute, tu as gagné ton frère enseigne-t-il à ses disciples, toujours dans l’évangile selon Matthieu (18:15). Certes, cela concerne les membres de la communauté de foi, et non n’importe quel prochain, fût-il un familier. Ce que le Christ demande à ses disciples, hier comme aujourd’hui, c’est d’effectuer un examen honnête de soi-même et de se placer devant le Créateur et Législateur de toute vie, qui connaît tous les agissements, toutes les paroles, toutes les pensées de chacune de ses créatures, et les révélera en pleine lumière le jour venu. Il nous invite à nous défaire de nos faux-semblants et nous appelle à une repentance sincère devant Dieu, qui juge avec une parfaite justice sans faire preuve de discrimination sur la base de facteurs que les humains, eux, aiment à prendre comme normes pour leurs jugements : … alors, tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère.

Le Sermon sur la Montagne, loin d’adoucir les angles de la Loi divine, en dévoile les exigences les plus intimes, rendant chacun d’autant plus inexcusable devant Dieu. En effet lorsqu’on affirme la Loi de Dieu comme norme supérieure, on affirme aussi un jugement divin autrement plus sévère que celui que pourrait porter un simple regard humain indigné.  Par là même, on met en évidence la possibilité de l’hypocrisie comme tromperie par rapport au bien.  Cependant, mis au pied du mur de cette exigence, tout être humain conscient qu’il ne saurait se réfugier derrière de vains faux-semblants qui ne peuvent tromper l’Auteur de ses jours, ne peut que se tourner vers la Grâce et le pardon divins offerts en la personne de celui-là même qui a exposé et accompli les exigences ultime de la Loi.  Il l’a fait une fois pour toutes non pas pour condamner, mais pour en offrir l’accomplissement à ceux qui étaient justement condamnés.

Pour entrer dans ce mode de sagesse et de jugement spirituel qui concerne chacun de nous personnellement avant de concerner l’autre (savoir distinguer entre une paille et une poutre, et reconnaître où se trouvent l’une et l’autre au regard de la norme divine), il faut donc d’abord s’être humilié devant Dieu, s’être repenti, et avoir l’assurance d’avoir obtenu son pardon.  Or c’est bien là le sens ultime de l’accomplissement de la Loi par Christ, et non son abolition : le pardon des fautes obtenu par la vie et le sacrifice parfaits de Christ sur la Croix afin de servir de rançon pour les fautes des rachetés.  Non pas une fausse assurance d’aboutir ici et maintenant à la perfection par ses propres efforts, aussi ardemment qu’on le souhaite ou qu’on y tende; certainement pas le déni quotidien de ses propres chutes, errements et infidélités ; mais plutôt l’assurance d’une rédemption promise et assurée par un Dieu sauveur, véritablement miséricordieux, qui sait relever ceux qui sont tombés et se sont repentis : Va et désormais ne pèche plus, déclare Jésus à la femme adultère qu’il a délivrée de ses accusateurs après les avoir mis face à leur propre conscience (Jean 8 :11).  Il la renvoie non pas en l’exonérant de la nécessité d’obéir au commandement divin, mais en lui signifiant que justice et miséricorde divines vont de pair. Ce qui en revanche est trop rarement souligné par les commentateurs à propos de ce récit, c’est que si Jésus ne la condamne pas, c’est uniquement parce que devant Dieu c’est lui qui portera dans son corps la condamnation de cette femme, sur la Croix de Golgotha, au milieu de l’abandon total par son Père à ce moment crucial de l’histoire de la Rédemption.  Non seulement la condamnation qui pesait sur cette femme d’ailleurs, mais celle qui pèse sur tous ceux et celles qui se seront mis au bénéfice de ce sacrifice, par la foi.

En dehors de cette sagesse spirituelle d’en-haut, il ne sert de rien de citer la parole de Jésus sur la paille et la poutre, d’essayer de la recycler quelque part à Athènes en tant que simple sagesse humaine, comme si elle pouvait avoir une quelconque valeur en dehors de l’épicentre de l’Évangile.  Ceux qui aiment la citer en dehors de son contexte propre devraient prendre la peine de lire la parole qui suit immédiatement dans le Sermon sur la montagne, et se demander s’ils comprennent bien ce que signifie l’expression « ce qui est saint » (7:6) : Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et ne se retournent pour vous déchirer.

La vraie sainteté biblique n’est pas une prétention à une quelconque supériorité morale

Lors de sa comparution à Jérusalem devant le Sanhédrin avec Jean (Actes 4:12) l’apôtre Pierre déclarera avec force et simplicité la nécessité du salut pour tout pécheur, et l’instrument unique de ce salut : Le salut ne se trouve en aucun autre [que Jésus-Christ]; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvé. C’est sur ce seul fondement qu’il pourra plus tard écrire à ses lecteurs, dispersés dans toute l’Asie mineure en raison de persécutions et d’épreuves diverses, l’exhortation suivante, adressée à des hommes et des femmes renouvelés de l’intérieur par un autre Esprit que celui du monde ambiant, l’Esprit de l’Évangile (1 Pierre 1:14-15 ; on notera l’idée parallèle du début avec celle exprimée en Éph. 5:8, cité plus haut) :  Comme des enfants obéissants, ne vous conformez pas aux désirs que vous aviez autrefois, dans votre ignorance ; mais, de même que celui qui vous a appelés est saint, vous aussi devenez saints dans toute votre conduite, puisqu’il est écrit : « Vous serez saints, car je suis saint » (citation de Lévitique 19:2).

Ici, Athènes répliquera sans doute : Voilà bien la racine de toute hypocrisie, cette prétention insupportable à être « saint » comme le serait le Dieu fabriqué à leur image par ces chrétiens imbus de leur propre vertu.  A cela, Jérusalem répondra avec Pierre, toujours sur le mode de l’exhortation à réformer toute vie  – aussi bien individuelle que communautaire – non pas en suivant la dernière inclinaison d’une girouette affolée par toutes sortes de courants d’air idéologiques, mais  à l’aune de la parole vivante et permanente de Dieu (1:22-23; 2:1-3): Après avoir purifié vos âmes dans l’obéissance à la vérité en vue d’un amour fraternel sincère, aimez-vous les uns les autres ardemment et de tout cœur, vous qui avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la parole vivante et permanente de Dieu ()  Rejetez donc toute méchanceté et toute fraude, l’hypocrisie, l’envie et toute médisance ; désirez comme des enfants nouveau-nés le lait non frelaté de la parole, afin que par lui vous croissiez pour le salut, si vous avez goûté que le Seigneur est bon.

Il ne s’agit donc pas de prétendre à une supériorité morale soit innée soit acquise au prix d’efforts que la plupart ne sont pas prêts à consentir ou capables de fournir, mais d’être mis au bénéfice d’une œuvre parfaite, celle du Christ, qui a le pouvoir d’apporter un renouvellement de l’être en profondeur.  Tout autre vaisseau humain fabriqué en vue de quitter les rivages du vice afin de rejoindre ceux de la vertu échouera à un moment ou un autre sur les récifs d’un moralisme stérile, après avoir fait escale sur quelques îlots à première vue hospitaliers, mais qui se révéleront rapidement invivables.  A terme, un moralisme reposant sur la seule volonté humaine est nécessairement porteur d’hypocrisie car issu d’une semence corruptible: la semence d’une nature humaine non régénérée, incapable de distinguer clairement entre le bien et le mal, toujours en quête d’accommodements avec ses propres normes à géométrie variable, et donc bien incapable de se sauver elle-même.

Eric Kayayan Foi et Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 
Bible Protestante
Croix Protestante

 

 

 

 

 

 

 

Source : Foi &Vie Réformées

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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 12:23
Soumission et liberté

En français, il y a des mots qu’on ose à peine prononcer tant ils sont mal connotés.

 

Le mot « soumission » en est un.

 

D’abord parce qu’il semble être radicalement opposé à la notion de liberté telle qu’on la conçoit volontiers de nos jours, c’est-à-dire comme un espace de prérogatives individuelles quasiment illimité, que rien ni personne ne devrait essayer de réduire. 

 

Nous sommes conditionnés par un logiciel de pensée qui fait de l’acquisition de nouveaux droits – ou prétendus tels – le moteur même de notre existence, ce qui lui donne son sens plein et ultime. 

 

Pour avancer dans cette acquisition, il faut se défaire de toutes sortes de soumissions aux règles en vigueur, ou à tout le moins les remplacer par ce qui – pensons-nous – va nous libérer.

 

Et puis le mot soumission nous ramène évidemment à la signification du mot islam en arabe, avec tout ce qu’implique la soumission au dieu du coran. 

 

Le roman de Houellebecq du même nom se réfère à cette religion et aux conséquences politiques, sociales et individuelles d’une telle soumission prévue comme inévitable dans un proche avenir.

 

Soumission et liberté sont-elles donc totalement incompatibles ? 

 

Est-ce qu’en pensant nous libérer de telle ou telle contrainte, loi ou règle, nous ne nous soumettons pas en fait à de nouvelles contraintes, de nouveaux jougs souvent bien plus oppressifs que ceux dont on pense s’être débarrassé ?

 

En prenant un peu de recul et en observant ce qui se passe dans nos sociétés qui se disent émancipées, on constate qu’il existe toutes sortes d’esclavages physiques ou moraux détruisant les vies de ceux qui se croyaient libérés des vieilles règles :

 

- l’esclavage psychique vis-à-vis de la pornographie alors qu’on nous promettait la libération et l’épanouissement sexuels. 

 

- L’esclavage de nombre de femmes du tiers-monde réduites à louer leur ventre pour assouvir les désirs d’enfants d’hommes en mal de procréation alors qu’ils en refusent les règles naturelles. 

 

- L’esclavage vis-à-vis de la consommation de produits ou de services ruineux et souvent inutiles, alors que la publicité nous présente leur acquisition comme une libération vis-à-vis de contraintes matérielles. 

 

- L’esclavage vis-à-vis des antidépresseurs, au pays de la « joie de vivre » célébrée dans le monde entier comme la marque de fabrique de la France. 

 

La liste est loin d’être close…

 

Face à ces nouvelles soumissions aux antipodes d’une véritable liberté, la libération promise par le Christ à tous ceux qui viendront vers Lui sonne de manière radicalement différente (Matthieu 11: 28-30 )

 

Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos.  Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes.  Car mon joug est aisé, et mon fardeau léger.

 

Eric Kayayan Foi et Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 
Bible Protestante
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Source : Foi&Vie Réformées

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7 janvier 2020 2 07 /01 /janvier /2020 20:45
Prêcher l’Évangile à toutes les nations

L’évangélisation, l’annonce de Jésus-Christ à toutes les nations, n’a pas bonne presse dans nos sociétés contemporaines occidentales. Elle est assimilée à du prosélytisme tapageur, voire à des méthodes coercitives qui ont été pratiquées ici ou là dans le passé (pensez par exemple aux conversions forcées opérées sur les populations lombardes ou autres sous Charlemagne, au neuvième siècle de notre ère).  Et, bien entendu, la question de la colonisation, du rôle réel ou supposé des missionnaires pour soutenir les pouvoirs des pays colonisateurs, revient régulièrement comme un argument massue, alors même que le christianisme se maintient et croît justement dans les pays émancipés du joug colonial il y a belle lurette !  Il suffit de consulter quelques statistiques pour s’en convaincre.

Au vu de tout ceci les textes fondateurs du christianisme doivent être pris en compte avant tout autre facteur, en particulier en ce qui concerne la manière de répandre le message religieux. Revenons donc aux sources du christianisme, au-delà de ce qui a été pratiqué par beaucoup au cours des âges.  Au premier siècle de notre ère, St Paul écrivait ceci aux Romains (chapitre 10, versets 12-17): Ainsi, il n’y a  pas de différence entre Juifs et non-Juifs.  Car tous ont le même Seigneur qui donne généreusement à tous ceux qui font appel à lui.  En effet, il est écrit [et là Paul cite le prophète Joël, dans l’Ancien Testament]: “Tous ceux qui feront appel au Seigneur seront sauvés.” Mais comment feront-ils appel à lui s’ils n’ont pas cru en lui?  Et comment croiront-ils s’ils ne l’ont pas entendu?  Et comment entendront-ils s’il n’y a personne pour le leur annoncer?  Et comment y aura-t-il des gens pour l’annoncer s’ils ne sont pas envoyés?  Aussi est-il dit dans l’Ecriture [ici il cite le prophète Esaïe]: “Qu’ils sont beaux les pas de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles!”  Mais malheureusement, tous n’ont pas obéi à cette Bonne Nouvelle.  Esaïe déjà demandait: “Seigneur, qui a cru à notre message?”  Donc, la foi naît du message que l’on entend, ce message c’est celui qui s’appuie sur la parole de Christ.  Donc, dans les textes fondateurs, aucune coercition par l’usage de la force, mais la prédication de Jésus-Christ envers toutes les nations, dynamique inhérente au christianisme, ordonnée par le Christ lui-même à ses disciples.

L’appel à répandre la Parole divine n’est pourtant pas l’apanage du seul Nouveau Testament, comme beaucoup le pensent, à tort. Dès l’Ancien Testament on trouve des appels répétés à faire connaître le seul vrai Dieu, celui qui s’est révélé en premier lieu à Israël.  Je n’en veux pour preuve que le court psaume 67: Que Dieu nous fasse grâce!  Qu’il nous bénisse!  Qu’il nous regarde avec bonté, afin que sur la terre on reconnaisse comment tu interviens, et que dans toutes les nations on voie comment tu sauves!  Que les peuples te louent, ô Dieu, que tous les peuples t’adressent leurs louanges!  Que les nations jubilent et qu’elles chantent dans l’allégresse, car c’est avec justice que tu juges le monde, et c’est avec droiture que tu juges les peuples.  C’est à la lumière d’un tel texte, et d’autres semblables, que Jésus-Christ, une fois sorti vainqueur du tombeau, a proclamé à ses disciples que sa royauté universelle devait se manifester avant tout par la proclamation de l’Évangile : J’ai reçu tout pouvoir dans le ciel et sur la terre: allez donc dans le monde entier, faites des disciples parmi tous les peuples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et apprenez-leur à obéir à tout ce que je vous ai prescrit.  Et voici: je suis moi-même avec vous chaque jour, jusqu’à la fin du monde.  En dépit de tous les obstacles et de toutes les persécutions (Jésus a clairement averti ses disciples qu’elles surviendraient) ces paroles demeurent un commandement divin pour toutes les générations de chrétiens jusqu’au retour de Celui qui les a prononcées.

Eric Kayayan Foi et Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

 

 

 

Bible

 

Croix Huguenote

 

 

 

Source : Foi & Vie Réformées

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6 janvier 2020 1 06 /01 /janvier /2020 15:15
Ré-écrire la Bible au goût du jour ou le nouvel évangile apocryphe et son canon

Ré-écrire la Bible au goût du jour

La réécriture de la Bible est à l’ordre du jour, et la rédaction virtuelle d’un évangile apocryphe est devenue particulièrement d’actualité, au moyen de la déconstruction par élimination et la recomposition graduelle du message de l’Évangile. Ceci n’est d’ailleurs que le parallèle logique de la popularité croissante des évangiles apocryphes des premiers siècles de l’ère chrétienne qui font, aujourd’hui comme à l’époque, concurrence aux évangiles du Nouveau Testament aux yeux du grand public, par le biais de nombreux articles ou  publications. Par apocryphes j’ai en vue une série  de textes plus ou moins calqués sur les évangiles du Nouveau Testament mais rédigés après ces derniers : évangile de Pierre – déjà cité dans la seconde lettre de Clément de Rome à la fin du premier siècle -; évangile de Thomas, consistant en 118 logia ou paroles attribuées à Jésus; évangile de l’enfance de Jésus-Christ par Thomas;  protévangile de Jacquesactes de Pilate, etc. (on consultera avec profit le recueil Évangiles apocryphes publié par France Quéré – Collection Sagesse, Paris, Seuil, 1983 – qui en rassemble un certain nombre).

En introduisant toutes sortes de fantaisies, d’exagérations, de spéculations mystiques, en prenant pour prétexte la recherche d’une spiritualité supérieure, ils déforment le sens des évangiles du Nouveau Testament, abolissant de fait la signification du salut par la foi en l’œuvre de réconciliation accomplie une fois pour toutes sur la Croix par le Christ, seul médiateur entre Dieu et l’humanité en état de chute.

Aujourd’hui, cette réécriture virtuelle de la Bible, en particulier du Nouveau Testament, provient du sein même des églises qui récusent implicitement – voire explicitement – l’autorité de la Bible en tant que Révélation  afin de s’attacher à leur propre canon, en tant que source d’autorité conçue pour s’adapter étroitement à l’idéologie dominante ou aux décisions politiques du moment. Une telle réécriture virtuelle de la Bible mérite d’être mise en évidence, dans la mesure où elle instaure un nouveau canon aux profondes conséquences dogmatiques et éthiques pour l’Église d’aujourd’hui.  C’est ce que je me propose ici de faire de manière  synthétique.

Le Canon marcionite 

Un retour s’impose sur l’histoire du christianisme des origines, dont la connaissance peut certainement nous aider à nous y retrouver dans la confusion éthique et doctrinale actuelle.

Déjà au second siècle de notre ère, un certain Marcion, fortement influencé par les sectes dites gnostiques (du mot grec « gnosis », qui signifie connaissance – une connaissance réservée aux pneumatikoi, élite initiée de gens soi-disant « spirituels »), constitue un canon de l’Écriture débarrassé de la totalité de l’Ancien Testament et de tout ce qui peut ressembler à un Dieu Créateur.  Celui-ci est  en effet assimilé à un mauvais démiurge (« Yaldabaoth-Yahweh » dans certaines terminologies gnostiques de l’époque), c’est-à-dire à une forme inférieure de divinité, puisqu’il est impliqué dans la création de la matière. Or, pour les Gnostiques, la matière est en elle-même mauvaise, elle se situe à l’opposé de ce qui est vraiment « spirituel ».  L’union homme/femme et la procréation qu’elle implique font partie de cette « mauvaise » création (d’où l’appel à l’abstinence totale au sein du mariage, voire au rejet du mariage comme institution chez de nombreux gnostiques). Marcion supprime même plusieurs passages du seul évangile qu’il maintient dans son canon, celui selon Luc, notamment ce qui a trait à la naissance de Jésus, l’annonce faite à Zacharie dans le temple etc.: il les juge en quelque sorte « impropres à la consommation » dans la mesure où ils se réfèrent à l’Ancien Testament dans lequel se manifeste justement Yahweh le démiurge, qu’il oppose à une divinité d’ordre supérieur, le vrai Dieu en quelque sorte.

L’autre élément expurgé du canon marcionite – même au sein des épîtres pauliniennes qu’il a retenues – concerne tout ce qui se rapporte à la Loi, et qu’il estime s’opposer à la seule véritable dimension spirituelle, celle de la Grâce délivrée de tout aspect légal. Marcion n’introduit pas en tant que tels un ou plusieurs des évangiles apocryphes mentionnés ci-dessus. Il découpe plutôt ce qui lui semble s’accorder avec l’essence du message chrétien dans des textes déjà reçus et tenus pour inspirés par la majorité des églises, les élaguant en fonction de ses choix doctrinaux.  Soulignons en effet que dès le début de l’ère chrétienne, outre l’Ancien Testament (comprenant la Torah, les écrits – ketubim – et les prophètes – nebiim -)  des écrits récents bien particuliers, tels les épîtres pauliniennes, étaient reçus par les églises comme étant propres à la lecture dans les assemblées en raison de leur origine apostolique ou de l’autorité interne du témoignage qu’ils rendent à l’Évangile de Jésus-Christ (c’est d’ailleurs ce qu’indique clairement la longue citation d’Irénée donnée ci-dessous)

Il est fort instructif  à plusieurs égards de constater que des pères de l’Église comme Tertullien ou Irénée de Lyon ont combattu dans les termes les plus vifs ce canon marcionite et ce qu’il implique par rapport à l’ordre créationnel bon et parfait institué par Dieu, de même que par rapport à la relation entre la Loi et l’Évangile.  Cela même  alors que le Canon du Nouveau Testament tel que nous l’avons reçu (avec ses 27 livres) n’était pas encore constitué de manière générale en tant que tel. Rappelons en effet qu’il ne le sera que vers la fin du quatrième siècle, étant progressivement reconnu par les églises qui furent incitées à le faire notamment à la suite de la constitution du canon marcionite. Tertullien  – dans Adversus Marcionem, notamment au livre IV portant sur l’évangile selon Luc et sa version marcionite – de même qu’Irénée défendent avec la plus grande vigueur la canonicité  – et donc l’autorité –  de la Loi et des prophètes, de l’Ancien Testament donc.

Le jugement d’Irénée de Lyon

Voici par exemple ce qu’écrit Irénée de Lyon sur Marcion et, à sa suite, sur la secte des Encratites,  dans son traité « Contre les hérésies, dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur » (I, 27, 2-4 ; 28, 1. Trad. Française par Adelin Rousseau, Paris, Cerf, 1984, p. 118-121). Ce long extrait nous permettra de cerner les thèmes communs que l’on retrouve aujourd’hui dans le nouveau canon adopté par nombre d’églises:

[Cerdon] eut pour successeur Marcion, originaire du Pont, qui développa son école en blasphémant avec impudence le Dieu annoncé par la Loi et les prophètes : d’après lui, ce Dieu est un être malfaisant, aimant les guerres, inconstant dans ses résolutions, et se contredisant lui-même.  Quant à Jésus, envoyé par le Père qui est au-dessus du Dieu Auteur du monde, il est venu en Judée au temps du gouverneur Ponce-Pilate, procurateur de Tibère César ; il s’est manifesté sous la forme d’un homme aux habitants de la Judée, abolissant les prophètes, la Loi et toutes les œuvres du Dieu qui a fait le monde et que Marcion appelle aussi le Cosmocrator.  En plus de cela Marcion a fait croire à ses disciples qu’il est plus véridique que les apôtres qui ont transmis l’Évangile, alors qu’il met entre leurs mains, non pas l’Évangile, mais une simple parcelle de l’Évangile.  Il mutile de même les épîtres de l’Apôtre Paul, supprimant tous les textes où l’Apôtre affirme de façon manifeste que le Dieu qui a fait le monde est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, ainsi que tous les passages où l’Apôtre fait mention de prophéties annonçant par avance la venue du Seigneur.

Selon Marcion, il n’y aura de salut que pour les âmes seulement, pour celles du moins qui auront appris son enseignement ; quant au corps, du fait qu’il a été tiré de la terre, il ne peut avoir part au salut.  A son blasphème contre Dieu, il ajoute encore, en vrai porte-parole du diable et en contradicteur achevé de la vérité, l’assertion que voici : Caïn et ses pareils, les gens de Sodome, les Égyptiens [en tant qu’adeptes de pratiques magiques] et ceux qui leur ressemblent, les peuples païens qui se sont vautrés dans toute espèce de mal, tous ceux-là ont été sauvés par le Seigneur lors de sa descente aux enfers, car ils sont accourus vers lui et il les a pris dans son royaume ; au contraire, Abel, Hénoch, Noé et les autres « justes », Abraham et les patriarches issus de lui, ainsi que tous les prophètes et tous ceux qui ont plu à Dieu, tous ceux-là n’ont point eu part au salut : voilà ce qu’a proclamé le Serpent qui résidait en Marcion ! (…)

Puisque ce Marcion est le seul qui ait eu l’audace de mutiler ouvertement les Écritures et qu’il s’est attaqué à Dieu plus impudemment que tous les autres, nous le contredirons séparément : nous le convaincrons d’erreur à partir de ses écrits et, Dieu aidant, nous le réfuterons à partir des paroles du Seigneur et de l’Apôtre qu’il a conservées et qu’il utilise.  Pour l’instant il nous faut faire mention de lui, pour que tu saches que tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, adultèrent la vérité et blessent la prédication de l’Église, sont les disciples et les successeurs de Simon, le magicien de Samarie.  Bien que, dans le but de tromper autrui, ils se gardent d’avouer le nom de leur maître, c’est pourtant sa doctrine qu’ils enseignent ; ils mettent en avant le Nom du Christ Jésus comme un appât, mais c’est l’impiété de Simon qu’ils propagent sous des formes diverses, causant ainsi la perte d’un grand nombre ; par ce Nom excellent, ils répandent leur détestable doctrine ; sous la douceur et la beauté de ce Nom, ils présentent le venin amer et pernicieux du Serpent, qui fut l’initiateur de l’apostasie.

A partir de ceux que nous venons de dire ont déjà surgi les multiples ramifications de multiples sectes, par le fait que beaucoup parmi ces gens-là – ou pour mieux dire, tous – veulent être des maîtres: quittant la secte dans laquelle ils se sont trouvés et échafaudant une doctrine à partir d’une autre doctrine, puis encore une autre à partir de la précédente, ils s’évertuent à enseigner du neuf, en se donnant eux-mêmes pour les inventeurs du système qu’ils ont ainsi fabriqué.

Ainsi par exemple, des gens qui s’inspirent de Saturnin et de Marcion et qu’on appelle les Encratites ont proclamé le rejet du mariage, répudiant l’antique ouvrage modelé par Dieu et accusant de façon détournée Celui qui a fait l’homme et la femme en vue de la procréation ; ils ont introduits l’abstinence de ce qu’ils disent animé, ingrats qu’ils sont envers le Dieu qui a fait toutes choses (…)

D’autres, en revanche, ont pris comme point de départ les doctrines de Basilide et de Carpocrate ; ils ont introduit les unions libres, les noces multiples, l’usage indifférent des viandes offertes aux idoles : Dieu, disent-ils, n’a cure de tout cela.  Et que sais-je encore ?  Car il est impossible de dire le nombre de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sont écartés de la vérité.

Apparemment, Irénée n’était pas un chrétien tolérant et pluraliste se félicitant de la diversité d’opinions et de points de vue censée manifester une grande richesse au sein d’une Église unie!

Démythologisation contemporaine et transgénèse du Canon

Le processus contemporain de déconstruction du message de l’Évangile débute en prenant le contrepied d’une affirmation du Nouveau Testament sur l’authenticité de ce même message.  En 2 Pierre 1:16-18 on lit ceci:

Ce n’est pas en effet en suivant des fables [en grec: μύθοι, mythes) habilement conçues que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais parce que nous avons vu sa majesté de nos propres yeux; car il a reçu honneur et gloire de Dieu le Père, quand la gloire pleine de majesté lui fit entendre cette voix: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, objet de mon affection. Nous avons entendu cette voix venant du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne. 

Au début de la première lettre à Timothée (1:3-4), Paul exhorte Timothée à ne pas laisser certains enseigner des fables et des généalogies sans fin: Comme je t’y ai exhorté, à mon départ pour la Macédoine, demeure à Ephèse, afin de recommander à certaines personnes de ne pas enseigner d’autres doctrines et de ne pas s’attacher à des fables (ici aussi μύθοι, mythes] qui favorisent des discussions plutôt que l’œuvre de Dieu dans la foi.  Sans entrer dans les détails sur la nature et le contenu de ces « fables » il est clair que ces deux passages établissent une distinction voire une antithèse radicale entre d’une part les fables/mythes contemporains (qu’ils soient judaïsants ou gréco-romains) et d’autre part les faits historiques sur lesquels l’annonce de l’Évangile est fondée, ainsi que cette annonce.

Or en développant une méthode de « démythologisation » pour éliminer tout ce qu’elle considère justement comme des fables dans la Bible (par exemple les miracles dans le Nouveau Testament, ou, ici, la Transfiguration de Jésus devant trois de ses disciples [Mat.17:1-8; Marc 9:2-13; Luc 9 :28-36])  la théologie héritée des Lumières du dix-huitième siècle se voit progressivement contrainte – si elle veut maintenir vivante cette appellation de « théologie » au sein de la tradition chrétienne dont elle est issue et perpétuer une pratique théologique appliquée à la vie de l’Église – de définir un nouveau Canon, avalisant les accents dogmatiques ou éthiques qu’elle s’est donnée.  Elle se retrouve  donc en porte-à-faux avec le Canon reçu par l’Église universelle au cours des siècles. Elle en a cependant encore besoin et cherche à s’en servir comme d’un tremplin destiné à faire atteindre l’étape canonique suivante et la faire accepter progressivement au sein de l’Église.

Les processus de cette ré-écriture de l’Écriture sont multiformes, et par là-même peuvent être trompeurs dans la mesure où – tout comme du temps des différentes sectes gnostiques mises en évidence et dénoncées par Irénée – on a affaire à un mouvement protéiforme susceptible d’évoluer et de s’adapter à de nouveaux courants ou de nouvelles exigences socio-culturelles. L’historisme contemporain, c’est-à-dire l’absolutisation du temps historique auquel est faussement conférée une dimension transcendante et normative (le fameux « Sens de l’Histoire » si l’on veut), sert néanmoins de matrice à ce courant protéiforme orienté avant tout vers la satisfaction fonctionnaliste des besoins existentiels du moment. De mutations en mutations, toutes provoquées consciemment afin de donner lieu à une transgénèse jugée salutaire pour la survie de l’homo religiosus contemporain, on aboutit donc imperceptiblement à ce qu’on pourrait qualifier de CGM : un Canon Génétiquement Modifié.

L’idée d’un Canon modifié, purgé des éléments jugés mythologiques (non pas ceux récusés par les lettres de Paul et de Pierre, mais ceux jugés comme tels par les censeurs des évangiles canoniques)  émerge déjà au cœur des « Lumières » avec la fameuse bible du déiste et moraliste Thomas Jefferson,  l’un des rédacteurs de la constitution américaine et le troisième président des États-Unis.  Il s’agit en fait d’une version du Nouveau Testament expurgée, qui ne fut portée à la connaissance du public que bien longtemps après la mort de Jefferson. Les passages mentionnant les miracles de Jésus, l’annonciation, la résurrection, le Saint Esprit, le péché etc. ont été découpées par Jefferson au rasoir, et le tout recomposé sous le titre : The life and morals of Jesus of Nazareth (La vie et les enseignements moraux de Jésus de Nazareth).

Un exemple contemporain de ré-écriture de l’Évangile nous vient du Jesus seminar, animé par John Dominic Crossan (un ex-prêtre catholique irlando-américain) et Robert Funk. Il est du reste assez significatif de constater que Crossan considère la rédaction de l’évangile de Pierre  – un des évangiles apocryphes mentionnés ci-dessus – comme précédant chronologiquement celle des évangiles canoniques. Afin de se rapprocher du « Jésus historique » (le soi-disant véritable Jésus débarrassé des oripeaux mythologiques dont l’auraient affublés les évangiles canoniques) le Jesus Seminar invitait entre autres ses participants à lire séparément les évangiles canoniques en  entourant de couleurs différentes les paroles de Jésus en fonction de leur degré supposé d’authenticité, selon des critères donnés.  Les chercheurs comparaient ensuite leurs trouvailles pour en faire une synthèse et publier ensuite leurs vues sur le « Jésus historique ».  Une telle méthode aux accents extrêmement subjectifs, ne peut naturellement manquer de faire venir à l’esprit la sympathique formule : je t’aime: un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout appliquée aux choix opérés par les uns ou les autres…

Il n’est cependant pas nécessaire d’avoir affaire à une réécriture  contemporaine de type marcionite, – proposant au lecteur un texte formellement mutilé et recomposé – pour que cette réécriture ait effectivement lieu.  La réécriture apocryphe par nombre d’églises aujourd’hui tient le plus souvent de l’abandon voire de l’occultation de tous les passages bibliques considérés comme obsolètes en raison d’une évolution socio-culturelle guidée par des motifs intrinsèques opposés à ceux que les textes du Canon traditionnel affirment ou font ressortir. Notons quelques symptômes de cet état de fait, suffisamment répandus pour motiver cette assertion: ces passages ne sont plus lus lors des offices ou des cultes ; on ne prêche plus (ou bien très rarement) sur l’Ancien Testament ; le Décalogue est relégué au rang d’objet de musée ; dans la prédication la pratique de l’exégèse est négligée et remplacée par toutes sortes de considérations moralisantes ou de citations littéraires voire philosophiques.  L’exposition historico-rédemptrice des passages la Bible n’est plus pratiquée et l’histoire de la Révélation tout simplement abandonnée. En revanche, des citations bibliques prises hors de leur contexte canonique particulier et général se font de plus et plus courantes (ce que l’on nomme « biblicisme »).

Le motif universaliste et le motif antinomien

A contrario, un motif universaliste affirmant le salut de tout individu – qu’il soit régénéré par l’Esprit Saint ou non – devient un principe herméneutique (interprétatif) dominant dans l’exposition de thèmes divers, d’ordre éthique en particulier. La pression socio-culturelle égalitariste contemporaine rend en effet insupportable tout maintien de mentions discriminatoires à l’égard du salut, sans aucun égard pour les textes néo-testamentaires, même limités aux paroles de Jésus-Christ pourtant sans équivoque à cet égard (comme en Mat. 7:21-23; 22:14; 25:31-46 etc.)

La démarche suivie peut être résumée comme suit : on commence par allégoriser les textes au moyen d’une herméneutique spiritualiste afin de mieux les réduire à une simple morale immanente, dénuée de tout caractère eschatologique inclusive d’un Jugement final.  Une fois cette étape atteinte, le résidu de morale biblique obtenu se trouve à son tour relégué au rang des scories de l’histoire lorsque de nouveaux impératifs sociétaux ou anthropologiques ont été définis, et avec eux quasiment toute notion biblique de bien et de mal redéfinie. Le bien et le mal sont désormais connus avec une nouvelle certitude  – une foi qui désormais ne doute plus ! – par l’homo religiosus contemporain, non plus régénéré par la Parole et l’Esprit, mais auto-promu au rang d’homo emancipatus, émancipé de l’autorité paternelle (selon l’étymologie de cet adjectif en droit romain).

S’il faut chercher une inspiration derrière ce nouveau canon universaliste, c’est plutôt dans la pop-culture et les mouvements de masse branchés que le nouvel évangile apocryphe va la puiser. Par exemple dans la fameuse chanson de Polnareff des années soixante-dix :

On ira tous au paradis mêm’ moi
Qu’on soit béni ou qu’on soit maudit, on ira
Tout’ les bonn’ s
œsoeurs et tous les voleurs
Tout’ les brebis et tous les bandits
On ira tous au paradis
On ira tous au paradis, mêm’ moi
Qu’on soit béni ou qu’on soit maudit, on ira
Avec les saints et les assassins
Les femmes du monde et puis les putains
On ira tous au paradis

Ne crois pas ce que les gens disent
C’est ton cœur qui est la seule église
Laisse un peu de vague à ton âme
N’aie pas peur de la couleur des flammes de l’enfer
On ira tous au paradis, mêm’ moi
Qu’on croie en Dieu ou qu’on n’y croie pas, on ira…
Qu’on ait fait le bien ou bien le mal
On sera tous invités au bal
On ira tous au paradis
On ira tous au paradis, mêm’ moi
Qu’on croie en Dieu ou qu’on n’y croie pas, on ira
Avec les chrétiens, avec les païens
Et même les chiens et même les requins
On ira tous au paradis…

Au sein du nouvel évangile apocryphe, le corollaire du motif universaliste est le motif antinomien, l’antinomisme étant essentiellement opposé à toute notion de Loi limitative.  Ainsi, pour ce motif, la Grâce suppose l’abolition de la Loi (au lieu de la délivrance par le Christ de la malédiction que la Loi amène sur l’homme pécheur incapable de satisfaire à ses exigences).  L’Évangile n’est plus l’accomplissement de la Loi, selon les paroles mêmes du Christ (Matt. 5:17-20 et jusqu’à la fin du chapitre 5 où l’esprit de la Loi est en fait révélé dans toute sa portée, radicale et insoupçonnée par ceux-là mêmes qui s’en réclamaient de manière purement formaliste). Il devient donc quasiment interdit d’interdire au motif fallacieux d’une liberté qui ne connaît de bornes que celles posées par homo emancipatus.

L’antinomisme ne se positionne pas seulement par rapport à la Loi mosaïque, mais par rapport à toute prise en compte des aspects normatifs dans la Création, avant même la Chute. Car Homo emancipatus est libre de toute entrave, en particulier dans l’exercice de sa sexualité (une thématique particulièrement d’actualité dans les débats contemporains au sein des églises, mais déjà présente à l’époque d’Irénée, comme en témoigne le dernier paragraphe de la citation donnée plus haut – sans même parler de textes néo-testamentaires tels que 2 Pierre 2:18-19): toute norme limitative à l’égard de cet exercice – quand bien même elle apparaîtrait à travers toute l’Écriture – constitue une contradiction du principe régissant la pensée et les actes d’homo emancipatus.

Les similarités avec la doctrine marcionite

Si nous reprenons les thèmes propulsés par le canon marcionite et ceux du nouveau  canon (avec l’évangile apocryphe qui lui sert de support), tel qu’on vient de l’esquisser, on retrouve les éléments communs suivants :

  • Le refus de l’ordre créationnel exprimé en Genèse 1 et 2, qui ne peut être qu’une œuvre mauvaise, oppressive.
  • Le rejet de la résurrection corporelle (à commencer par celle de Jésus), remplacée par la notion classique d’immortalité de l’âme.
  • Le divorce entre Loi et Évangile, ce dernier étant présenté comme l’abolition de la précédente, et non comme son accomplissement par le Christ dans son obéissance parfaite aux exigences de la Loi et la satisfaction propitiatoire à toutes ses exigences pour le compte des pécheurs, en vue de leur sanctification.
  • L’émancipation subséquente vis-à-vis de la Loi, en vue d’une existence plus « spirituelle », au sens où elle doit désormais être soumise à des impératifs moraux redéfinis et dégagés des normes divines considérées comme obsolètes.
  • L’affaiblissement de la distinction et complémentarité sexuelle originelle telle que révélée en Genèse 1 et 2, soit par la dévalorisation du mariage, soit par l’élévation d’autres formes de relations sexuelles (en particulier homosexuelles) au même rang.

Par quelle autorité?

La présence d’un Canon dans l’Église  – quel qu’il soit du reste – pose nécessairement la question de l’autorité par laquelle une prédication, un enseignement, des règles de conduite sont donnés.  Car tout enseignement et  pratique dans l’Église ne se justifie que par rapport à une règle, une mesure, une norme acceptées et crues comme dignes de confiance et conformes à la vérité (c’est du reste la signification initiale du mot canon).  Ce ne peut-être qu’au nom d’une autorité quelconque que parle et agit l’Église.  Cette question cruciale était déjà au centre du débat qui nous est rapporté en Matthieu 21:23-32, entre Jésus et les principaux sacrificateurs ainsi que les anciens du peuple: Par quelle autorité fais-tu cela et qui t’a donné cette autorité ? La réponse de Jésus  – qui se réfère à Jean Baptiste venu dans la voie de la justice et au baptême de repentance pratiqué par lui et cru par les péagers et les prostituées (v.32) – pointe clairement en direction soit du ciel, soit des hommes.  Dans la mesure où Jésus-Christ déclare à ses disciples que toute autorité (πασα ἐξουσία) lui a été donnée dans les cieux et sur la terre, et qu’il leur enjoint d’enseigner à toutes les nations tout ce qu’il leur a prescrit (Matt. 28:18-20), il est impératif que l’Église, du moins celle qui prétend être son corps, se pose avec acuité la question de la source de l’autorité de son enseignement: l’Évangile qu’elle prêche vient-il du ciel ou des hommes?  Et le Canon qui l’exprime est-il donné une fois pour toutes, ou bien est-il malléable à merci ?

Eric Kayayan Foi et Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

 

 

 

Bible

 

Croix Huguenote

 

 

 

Source : Foi & Vie Réformées

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5 janvier 2020 7 05 /01 /janvier /2020 21:26
Dictature ou Pourriture

Il y a plus de quarante ans déjà, le philosophe chrétien Jean Brun traçait à la fin de son ouvrage Les Vagabonds de l’Occident (Paris, Desclée, 1976, pages 214-215) la terrible alternative qui attend un Occident progressivement privé de Sens, car de Transcendance : Dictature ou Pourriture.  Une page qui mérite d’être lue et méditée, car illustrant étonnamment ce que nous vivons aujourd’hui.

En fait, les deux termes de l’alternative envisagée semblent se rejoindre de nos jours en une dictature de la pourriture, tandis que se profile à l’horizon une dictature opposée, celle qui se réfère à une transcendance importée d’ailleurs, s’épanouissant sur le sol décomposé de la pourriture promue avec complaisance au rang d’horizon libérateur et de « lendemains qui chantent »:

Marche au pas ou errance, tel est le dilemme auquel l’homme se trouve confronté dès qu’il a décidé de liquider toute Transcendance.  Car s’il prétend que la science qu’il élabore fait de lui le maître et l’auteur du Sens, il transpose aussitôt cette conviction dans le domaine de la politique et des techniques qu’elle se subordonne ; dès lors prolifèrent les césarismes de la signification dont le sérieux fanatique se déploie dans tous les domaines : économie, presse, enseignement, beaux-arts, vie quotidienne.  Ainsi les idées, les actes et les conduites se trouvent planifiés puisqu’on ne saurait tolérer le moindre manquement au Sens de l’histoire qui définit la marche à suivre et les comportements à adopter.

Si, au contraire, l’homme affirme qu’il n’y a pas de sens, que tout n’est que jeux et combinatoires, dans ce cas l’idée de but et de point d’arrivée se trouvé éliminée et l’on est invité à marcher dans tous les sens, à se faufiler par toutes les ouvertures, à sauter d’expériences en expériences, à se délivrer de toute idée de sérieux, à se couler dans toutes les formes, à se divertir des choses, des autres et de soi-même.  Tout se vaut puisque rien ne se vaut.

Robot ou vagabond, de toute manière l’homme se trouve condamné à un voyage réduit à un calvaire scientifique ou à une folle équipée.

De nos jours un tel dilemme semble se présenter à nous d’une manière inéluctable, car l’alternative devient de plus en plus implacable et se présente en deux mots : Dictature ou Pourriture. D’un côté les dirigismes totalitaires qui définissent règlementairement ce qu’il faut lire, dire, penser et faire ; de l’autre les libéralismes de la transgression et de l’aventure dans lesquels la délinquance hagarde et le sexe débridé multiplient les orgies dans les dérèglements.

Quant au Tiers-Monde, si l’existence y connaît encore les durs problèmes de la subsistance et de la survivance, il se trouvera tôt ou tard en présence du même choix à faire.

Les activismes du Sens et les nihilismes de la signification ont une même origine : un refus du Sacré qui les condamne à faire de l’homme un forcené ou une loque.

L’homme se trouve donc à une croisée de chemins : le camp de concentration social ou les champs de dispersion désintégrants.  Mais, harcelé ou désemparé, il se sent de plus en plus prisonnier d’un monde dont les murailles se rapprochent et dans lequel ne se trouvent même pas les ruines d’un refuge.

Eric Kayayan Foi et Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

 

 

 

Bible

 

Croix Huguenote

 

 

 

Source : Foi & Vie Réformées

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1 janvier 2020 3 01 /01 /janvier /2020 09:31
Bonne année 2020 en Christ

Que Dieu bénisse chacune et chacun

en tout lieu qu'il demeure,

Que cette nouvelle année soit encore le moment pour tous

de s'approcher toujours plus de Christ,

soit dans le pardon et le salut pour celles et ceux

ne le connaissant pas encore,

soit dans l'édification et l'avancement de Son Règne

à Sa Seule Gloire.

Meilleurs vœux en Jésus Christ

Notre Sauveur et Seigneur

pour cette année 2020.

 

Refuge Protestant

Refuge Protestant Croix Huguenote

 

(Psaume 121 / 1 Thessalonissiens 5:23/24)

Eric Kayayan

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

Foi et Vie Réformées

 

PSAUME 136 :
Célébrez Dieu hautement 

Tiré du Psautier de Genève (1729)

Célébrez Dieu hautement, car Il est Doux et Clément et Son Immense Bonté dure à perpétuité. Célébrez le Dieu des dieux, Élevé sur tous les cieux ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. Rendez à Dieu les honneurs, dû au Seigneur des seigneurs ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. Dites que ce Roi des rois Fait, Seul, mille grands exploits ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. C’est Lui qui Fit Sagement, et l’air, et le firmament ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. (...) Quand nous étions affligés, Sa Main nous a Soulagés ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. Il nous a Tirés des mains des ennemis inhumains ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. Lui Seul Conserve et Soutient ce que l’univers contient ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité. Enfin, du Grand Dieu des cieux louez Le Nom Glorieux ; car Son Immense Bonté dure à perpétuité 

Source 

Psautier de Genève

 

Bible
Croix Huguenote

C'est une bonne coutume de se souhaiter une bonne année.

Trop souvent cependant, ce que nous entendons par "Bonne Année" se trouve être :

"j'espère que vous serez en bonne santé, que tout se passera bien pour vous, et que vous aurez beaucoup de prospérité cette année dans tout ce que vous ferez."

Les Protestants Réformés comme les Puritains l'ont exprimé d'une meilleure manière.

Ils se souhaitent une nouvelle année bénie ("béni" : bonheur intérieur quelles que soient les circonstances), et par lesquelles cela signifiait ceci :

"Nous espérons que tout ce qui vient par la main de la Providence cette année puisse vous être sanctifiée en Christ et par le Christ, afin que vous soyez patients dans l'adversité, reconnaissants dans la prospérité, et ayez une Confiance Ferme en Notre Dieu Fidèle et Père pour l'avenir inconnu. (Catéchisme de Heidelberg. Q28), que vous croyiez que toutes choses travaillent ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu (Romains 8-28).  

Alors, de cette manière, je vous souhaite à vous et votre famille une nouvelle année bénie ! Je vous souhaite en 2020 l'expérience de Samuel Rutherford qui pourrait dire :

" Chaque jour, nous pouvons voir quelque chose de nouveau en Christ, Son Amour n'a ni bord, ni fond. Dans nos fluctuations de sentiment, il est bon de se rappeler que Christ n'admet Lui aucun changement dans Ses Affections, votre cœur n'étant pas une boussole de marine par laquelle Jésus navigue."

Pasteur Joël Beecke,

Joel Beeke,

Pasteur Théologien Protestant Réformé.

Ministre de l'Heritage Reformed Congregation à Grand Rapids dans le Michigan,

Président du Puritan Reformed Theological Seminary,Professeur de Theologie Systématique et d'Homilétique.

Psaumes et hymnes du culte réformé compilé par Peter Masters. Cette collection de psaumes et d'hymnes a été inspirée par les richesses spirituelles de Our Own Hymn Book , compilé par CH Spurgeon en 1866. Vous pouvez vous procurer le cd en suivant ce lien : . https://tabernaclebookshop.org/products/psalms-and-hymns-of-reformed-worship-9781870855099

Le Seigneur entendra quand les troubles surviendront, quand les épreuves et les chagrins oppriment ; de Notre Alliance avec Lui, Dieu ne faillira jamais envers Son Peuple. Par la prière, Il renforcera la Foi et l'Amour pour bénir les moyens de Grâce, et par Sa Parole nos âmes qui attendent sentiront Sa Forte Étreinte. Il nous accordera tout le désir de notre âme en Lui faisant confiance à cette heure. Nos cœurs reconnaissants n'oublieront pas Les Détails de Son Amour ; comment tous nos besoins réels ont-ils été satisfaits ? Par le Secours d'en haut. Ainsi prouvé, notre foi infantile grandira en conviction bien sûr ; et s'appuyant moins sur l'aide humaine, nous Lui ferons encore plus confiance. (Tiré du Psaume 20)

Charles Haddon Spurgeon

 

La Présence de Christ est tout le Paradis que nous désirons. Il est à la fois La Gloire de nos jours les plus brillants et Le Confort de nos nuits.

Charles Spurgeon,

Eglise Refuge Protestant

 

Bible Huguenote
Croix Huguenote

 

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20 décembre 2019 5 20 /12 /décembre /2019 19:16
Le Psautier de Genève et l'esprit de la Réforme

La Réforme n'est pas un simple objet relevant d’un patrimoine historique et civilisationnel issu de l’Occident chrétien, mais un appel et un rappel permanent à la vie qu’offre l’Évangile de la Grâce en Jésus-Christ. Voici donc un article sur la naissance du Psautier Protestant, toujours utilisé et chanté dans nombre d’églises réformées sur les cinq continents (jusqu’en Corée du Sud et en Indonésie).

“La tradition est la foi vivante des morts;

le traditionnalisme est la foi morte des vivants”

Jaroslav Pelikan

 

            La publication du Psautier de 1562

La publication en 1562 (deux ans avant la mort de Jean Calvin) du Psautier de Genève comprenant la totalité des cent cinquante psaumes mis en rimes et en musique,  est considérée comme l’un des plus gros succès de l’histoire de l’édition : cent ans à peine après la mise au point de la technique d’imprimerie en Allemagne, pas moins de cinquante mille exemplaires de ce Psautier furent vendus en l’espace d’un an.

Cette même année 1562 en parut aussi la première édition pirate, sans nom d’éditeur ou de librairie.  L’éditeur principal du Psautier, Antoine Vincent, avait pourtant obtenu l’exclusivité des droits pour une période de dix ans non seulement à Genève, mais également en France.  Sa mort six ans plus tard, en 1568, allait de toutes manières faire tomber le Psautier dans le domaine public.

Afin d’en assurer une distribution aussi large que possible, Vincent et ses fils – lesquels disposaient eux-mêmes de deux maisons d’édition, l’une à Genève, l’autre à Lyon – avaient conduit des négociations avec dix-neuf maisons d’imprimerie et de distribution.  La collaboration de quarante-cinq ateliers d’imprimerie à travers Genève et toute la France fut acquise afin de rendre possible l’impression de ce nombre considérable de copies.  La quantité de papier utilisée dans ce but est proprement astronomique pour l’époque.  Le 27 janvier 1562, 27400 exemplaires étaient  déjà disponibles à Genève.  Le profit effectué devait être redistribué aux pauvres, sous la supervision des diacres des églises de Genève.  Comme on pouvait s’y attendre, ces diacres mèneraient par la suite  un combat persistant afin de rentrer en possession de tous les fonds promis par les collaborateurs de cette entreprise…

Une année auparavant, Théodore de Bèze (le plus proche collaborateur de Calvin et l’auteur de la plupart des mises en rime des psaumes) avait obtenu du roi de France le privilège royal et la permission de diffuser le psautier  à travers le royaume, grâce à sa participation au Colloque de Poissy entre d’un côté les catholiques romains et de l’autre les protestants, dont il était le porte-parole compétent.  Le climat était alors au dialogue et l’on espérait encore qu’une réconciliation pût intervenir après des années de persécution mais aussi de croissance du parti huguenot, surtout au sein de la noblesse française.  L’année 1562 allait hélas voir le début des guerres de religion en France, à la suite du massacre de Vassy, lorsque les troupes du duc François de Guise massacrèrent les membres d’une assemblée de huguenots célébrant un culte dans une grange.  Ironiquement, le Psautier, qui avait reçu l’approbation royale l’année précédente, allait plus que jamais servir de réconfort aux martyrs huguenots marchant vers le bûcher…

Les étapes du projet

Le Psautier de 1562 constitue l’aboutissement d’un projet initié par Calvin lui-même en 1539, lorsqu’il était pasteur de la paroisse des français à Strasbourg.  Tout comme pour l’Institution de la Religion Chrestienne ce projet allait croître progressivement durant les vingt-trois années suivantes : de dix-neuf psaumes initialement mis en rime et musique (treize par les soins de Clément Marot, poète à la cour de François premier, six par ceux de Calvin) le Psautier allait passer à trente-cinq en 1542, puis quarante-neuf en 1543 : cette fois toutes les versifications étaient de Marot. Calvin, ayant estimé que la qualité poétique de ses propres versifications n’atteignait pas celle du fameux poète, avait retiré les siennes.  Marot mourait en 1544 et Théodore de Bèze ne s’établirait à Genève qu’en 1548.  C’est donc ce dernier qui allait reprendre ce travail et le compléter, révisant en 1560 ses propres textes et même ceux de Marot en vue d’une meilleure adéquation avec l’accentuation des mélodies.  On admire justement l’inégalable rapport parole-mélodie qui caractérise le Psautier, et qui fit son succès. Outre l’apport de mélodistes strasbourgeois tels que Matthias Greiter, celui de Loïs Bourgeois, employé par les autorités genevoises, doit être particulièrement souligné.

Avant même la parution de l’édition complète en 1562, les psaumes jouissaient en France d’une très grande popularité, comme en témoigne le fameux épisode du Pré-au-Clercs : au mois de mai 1558 de nombreux Huguenots se rassemblèrent près de la rive de la Seine plusieurs jours de suite pour chanter les psaumes publiquement et pacifiquement, leur nombre atteignant plusieurs milliers le treize mai.  Le roi et la reine de Navarre, Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret, se joignirent à eux, accompagnés de nombreux membres de la noblesse. A l’instigation de la Sorbonne, ces réunions furent rapidement interdites par le roi Henri II, étant considérées comme troublant la paix publique et comme vecteurs de sédition contre l’autorité royale.  De nombreuses arrestations furent effectuées, les prisonniers étant cependant assez rapidement relâchés. Calvin se fait l’écho de cet incident dans une lettre en date du 19 juillet de cette année  adressée à son ami le marquis de Vico: Du costé de France il advint il y a environ deux moys quelque escarmouche à Paris, pour ce qu’en une place nommée le Pré aux Clercs plusieurs gens en grande assemblée avoient commencé et poursuivy à chanter les Pseaumes.  Mesme le roy de Navarre, avec telle suytte que vous pouvez estimer, s’estoit mis de la bande.  Plusieurs à ceste occasion ont esté pris.  Tant d’édicts ont esté publiés avec grosses menaces, que la chose a cessé.

 

Le rôle des enfants dans le chant liturgique

Afin de faciliter l’apprentissage des mélodies, les musiciens employés par les autorités de la ville de Genève développent des méthodes d’enseignement (solfège) appliquées en particulier aux enfants.  Déjà en 1537, lors du premier séjour genevois de Calvin, celui-ci avait émis le souhait que les enfants jouent un rôle majeur dans l’apprentissage des psaumes chantés par l’assemblée. Cela est mentionné assez spécifiquement en janvier de cette année dans les articles soumis à l’approbation du Conseil de la ville: les enfants disposant d’une bonne voix devront apprendre les mélodies en premier et les chanter durant les services de culte, afin que les adultes soient à leur tour progressivement amenés à les apprendre.  Le rôle actif des enfants durant le culte, de même que l’unité du lien de foi unissant enfants et adultes, se voient ainsi réalisés liturgiquement.  On ne saisit l’impact que le chant de l’assemblée a  pu avoir sur chaque participant que lorsque l’on se souvient qu’auparavant le chant ecclésial était réservé à des maîtrises spécialisées d’enfants ou des chœurs d’hommes.  Bien entendu, l’apprentissage dans les assemblées des psaumes versifiés mis en musique ne fut pas toujours facile : il existe des témoignages de chaos indescriptible régnant dans des églises où divers groupes de l’assemblée ne parvenaient pas à entonner le chant de manière synchronisée (l’orgue ayant souvent été banni du culte, comme à Genève du temps de Calvin et de Théodore de Bèze, afin de laisser entièrement place au chant humain).  En revanche, là ou cette synchronisation se mettait en place, grâce à un ou plusieurs chantres, ce chant en commun était perçu comme  manifestant une force et une beauté tout à fait particulières, propre à renforcer la foi et la ferveur des fidèles.

 

Les versions polyphoniques et les traductions du Psautier

Il est assez remarquable que le succès du Psautier ne se soit pas limité aux protestants français, mais également aux fidèles catholiques.  De fait il devint un instrument puissant d’évangélisation.  Des compositeurs de grand talent écrivirent des versions polyphoniques, notamment en forme de motet.  L’un d’entre eux, le protestant Claude Goudimel, auteur de plusieurs séries en différents styles contrapuntiques, disparut lors de la Saint Barthélémy lyonnaise.  Le compositeur français le plus remarquable du dernier tiers du seizième siècle, Claude Lejeune (ca 1530-1600), lui aussi un protestant,  appliqua à ses compositions basées sur les psaumes versifiés des principes rythmiques fondés sur la musique mesurée à l’antique, collaborant avec le fondateur de l’Académie de Musique et de Poésie, Jean-Antoine de Baïf. D’autres compositeurs offriront des versions instrumentales de mélodies de psaumes. A partir de 1566  des Psautiers sur le modèle genevois commencent à voir le jour dans d’autres langues et dans d’autres pays : néerlandais (1566), allemand (1573), italien (1605), espagnol (1606), hébreu -sic!- (1623) puis hongrois, tchèque et même… turc.

 

Calvin sur le chant d’église

C’est dans la préface au psautier de 1543 (« A tous chrestiens amateurs de la parole de Dieu ») que Calvin s’est exprimé le plus clairement sur l’essence de la musique, son utilisation dans le culte ou pour l’usage privé, sa force et ses dangers, ainsi que sur le choix des psaumes comme textes les plus appropriés pour le chant de l’assemblée.  Laissons-lui la parole (en conservant la langue originale de la rédaction de ce texte):

Quant est des prières publiques, il y en a deux espèces : les unes se font par simples paroles, les autres avec le chant.  Et n’est pas chose inventée depuis peu de temps.  Car dès la première origine de l’Église cela a esté, comme il appert par les histoires.  Et mesme saint Paul ne parle pas seulement de prier de bouche, mais aussi de chanter.  Et, à la vérité nous cognoissons par expérience que le chant a grande force et vigueur d’esmouvoir et enflamber le cœur des hommes, pour invoquer Dieu d’un zèle plus véhément et ardent.  Il y a toujours à regarder que le chant ne soit ni léger, ni volage, mais qu’il ait poids et maiesté, comme dit saint Augustin, et ainsi, qu’il y ait grande différence entre la musique qu’on  fait pour réjouir les hommes à table et en leur maison, et entre les Pseaumes qui se chantent en l’Eglise, en la présence de Dieu et de ses anges. 

Or quand on voudra droitement juger de la forme qui est ici exposée, nous espérons qu’on la trouvera sainte et pure vu qu’elle est simplement reiglée à l’édification dont nous avons parlé ; combien que l’usage de la chanterie s’étende plus loin.  C’est que mesme par les maisons et par les chants ce nous soit une incitation et comme un organe à louer Dieu et eslever nos coeurs à luy pour nous consoler en méditant la vertu, bonté, sagesse et justice, ce qui est plus nécessaire que ce qu’on ne saurait dire.  Pour le premier ce n’est pas sans cause que le saint Esprit nous exhorte si soigneusement par les Sainctes Escritures de nous réjouir en Dieu et que toute notre joye soit là réduite comme à sa vraye fin : il cognoit combien nous sommes enclins à nous resjouir en vanité.  Tout ainsi donc que notre nature nous tire et nous induit à cercher tous moyens de résiouïssance fole et vicieuse : aussi au contraire nostre Seigneur, pour nous distraire et retirer des allechemens de la chair et du monde, nous présente tous moyens qu’il est possible à fin de nous occuper en ceste ioye spirituelle, laquelle il nous recommande tant.

Or entre les autres choses qui sont propres pour recréer l’homme et luy donner volupté, la Musique est ou la première, ou l’une des principales et nous faut estimer que c’est un don de Dieu député à cest usage.  Parquoy d’autant plus devons-nous regarder de n’en point abuser, de peur de la souiller et contaminer, la convertissant en notre condamnation, où elle estoit dédiée à nostre profit et salut. (…)

Or en parlant maintenant de la Musique ie comprends deux parties, à scavoir la lettre, ou subiect et matière : secondement, le chant ou la mélodie.  Il est vray que toute parole mauvaise (comme dit saint Paul) pervertit les bonnes mœurs : mais quand la mélodie est avec, cela transperce beaucoup plus fort le cœur, et entre au-dedans : tellement que comme par un entonnoir le vin est ietté dedans le vaisseau: aussi le venin et la corruption est distillée iusques au profond du cœur, par la mélodie.  Qu’est-il donc question de faire ? c’est d’avoir chansons non seulement honnestes, mais aussi sainctes, lesquelles nous soyent comme aiguillons pour nous inciter à prier et louer Dieu, à méditer ses œuvres, à fin de l’aimer, craindre, honorer, et glorifier. 

Or ce que dit sainct Augustin est vray, que nul ne peut chanter choses dignes de Dieu sinon qu’il l’ait receu d’iceluy.  Par quoy quand nous aurons bien circuit par tout pour cercher çà et là, nous ne trouverons meilleures chansons ne plus propres pour ce faire, que les Pseaumes de David ; lesquels le sainct Esprit luy a dictés et faicts.  Et pourtant, quand nous les chantons, nous sommes certains que Dieu nous met en la bouche les paroles, comme si luy-mesme chantoit en nous, pour exalter sa gloire.  Par quoy Chrysostome  exhorte tant hommes et femmes et petis enfants, de s’accoustumer à les chanter, à fin que cela soit comme une méditation pour s’associer à la compagnie des anges.  Au reste il nous faut souvenir de ce que dit S. Paul, Que les chansons spirituelles ne se peuvent bien chanter que de cœur.  Or le cœur requiert l’intelligence.  Et en cela (dit S. Augustin) gist la différence entre le chant des hommes et celuy des oiseaux.  Car une linote, un rossignol, un papegay chanteront bien, mais ce sera sans entendre.  Or le propre don de l’homme est de chanter en sçachant ce qu’il dit.  Après l’intelligence doit suivre le cœur et l’affection : ce qui ne peut estre que nous n’ayons le Cantique imprimé en nostre mémoire, pour iamais ne cesser de chanter.

En guise de conclusion, voici la versification originale du psaume 1 par Clément Marot dans le recueil strasbourgeois de 1539 (avec sur le côté les révisions apportées par Th. De Bèze dans l’édition complète du Psautier de 1562), suivie d’une belle version modernisée de ce texte due à la plume de Marc-François Gonin (éditions Vida, Nîmes, 1998) :

 

  1. Marot:

Qui au conseil des malings n’a esté

Qui n’est au trac des pécheurs arresté

Qui des moqueurs au banc place n’a prise

Mais jour & nuict la loy contemple et prise,

De l’Éternel, & en est désireur.

Certainement celuy la est heureux. [certainement cestuy-la est heureux]

 

Et si sera semblable à l’arbrisseau [Et semblera un arbre grand & beau]

Planté au long d’un clair courant ruisseau

Et qui son fruict en sa saison apporte.

Duquel aussi la fueille ne chet morte :

Mais tout cela qu’il iette et qu’il produict [si qu’un tel homme et tout ce qu’il fera]

Prospère & rend encore aultre fruict. [Tousiours heureux & prospère sera]

 

Pas les malings n’auront telle vertu :  [Mais les pervers n’auront telle vertu]

Ainçois seront semblables au festu

Et a la pouldre au gré du vent iettée.   [Et à la poudre au gré du vent chassée]

Parquoy sera la cause rebouttée  [Par quoy sera leur cause renversée]

Des gens sans loy au iugement de Dieu.  [En iugement, & tous ces reprouvez]

N’au ranc des bons les mauvais n’auront lieu. [Au rang des bons ne seront point trouvez]

 

Car le chemin des bons est approuvé   [Car l’Éternel les justes cognoit bien,]

Du Seigneur Dieu qui tousiours l’atrouve [Et est soigneux & d’eux & de leur bien]

Droict et uni : car on ne l’y forvoye.  [Pourtant auront félicité qui dure]

Mais des malings la trop oblique voye [et pourautans qu’il n’a ne soin ne cure]

Et tous ceuxla qui par icelle iront  [Des malvivans,le chemin qu’ils tiendront]

Pour tout iamais periront.    [Eux & leurs faits en ruine viendront.]

 

M.F. GONIN

L’homme qui fuit le conseil des trompeurs,

Sans s’arrêter au chemin des pécheurs

Ni sur le banc où les moqueurs s’asseyent,

Mais que la Loi du Seigneur émerveille

(Loi dont il est nuit et jour désireux),

Certainement, celui-là est heureux.

 

Il est pareil à l’arbre grand et beau

Planté le long d’un clair courant ruisseau ;

En sa saison, son fruit vient en bon nombre,

Il est toujours plein de fraîcheur et d’ombre.

Le vrai croyant et tout ce qu’il fera

A l’avenir ainsi prospèrera.

Mais les pervers n’auront pas un tel sort ;

Ceux qui sans Dieu semblent joyeux et forts

Ne sont que paille au gré du vent chassée,

Et leur splendeur sera vite passée

Au jugement, quand tous ces réprouvés

Parmi les bons ne seront pas trouvés.

 

Car le Seigneur connaît les hommes droits,

Et prend soin d’eux sur le chemin étroit;

Ils recevront le vrai bonheur qui dure.

Une autre voie aux pécheurs semble sûre,

Mais les voilà dans la direction

Où, comme leurs projets, ils périront.

 

Eric Kayayan Pasteur Protestant Réformé

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

Bible Refuge Protestant
Croix Huguenote

 

 

 

 

Source : Foi & Vie Réformées

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15 juin 2019 6 15 /06 /juin /2019 13:00
Paradoxe du Psaume 8 : Dieu si élevé et si proche à la fois

Quoi de plus paradoxal, quoi de plus époustouflant, que d'entendre dire que le Créateur de l'univers, de la terre comme des étoiles ou des galaxies les plus éloignées, connaît chacune de Ses Créatures terrestres individuellement, même la plus petite.

 

Certains veulent bien croire qu'un Dieu immensément élevé et éloigné de nous a donné naissance à l'univers, qu'Il en est l'Origine et la Cause Eternelle, mais comment pourrait-Il -grand Dieu ! - connaître Personnellement chacun de nous ?

 

Le psaume 8, quant à lui, ne fait pas mystère de ce mystère, il l'énonce avec le plus grand étonnement et en même temps la plus grande foi.

Dieu serait-Il Dieu s'Il ne pouvait connaître chacun de nous ?

Il faudrait plutôt parler d'une divinité sourde, aveugle, impuissante, en fin de compte inutile.

Ecoutons ces paroles :

Quand je regarde tes cieux, ouvrage de tes mains, la lune et les étoiles que tu as établies : qu'est ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l'homme, pour que tu prennes gardes à lui ? Tu l'as fait de peu inférieur à Dieu, et tu l'as couronné de gloire et de splendeur. Tu lui as donné la domination sur les oeuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds, les brebis comme les boeufs tous ensemble, et même les bêtes des champs, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui parcourt les courants marins. Eternel, notre Seigneur ! Que ton nom est magnifique sur toute la terre !

Ce psaume fait bien sûr écho au récit de la création de l'homme et de la femme au livre de la Genèse, où nous lisons que Dieu leur a confié un mandat d'intendance, de gestion, d'exploration et de protection vis-à-vis des ressources de la terre, ceci dans tous les domaines de l'existence et dans la soumission aux Normes Divines.

Le psaume 8, qui a débuté avec les mêmes paroles de louange qui le concluent, a immédiatement poursuivi en affirmant que les nourrissons et les petits enfants sont ceux-là mêmes qui proclament cette louange et que par elle, l'arrogance des méchants est stoppée nette :

Toi qui établis ta majesté au-dessus des cieux, par la bouche des enfants et des nourrissons tu as fondé ta force à cause de tes adversaires, pour imposer silence à l'ennemi et au vindicatif.

Mais à tous ceux qui relèguent Dieu dans un au-delà qu'il ne saurait (ou ne devrait) jamais franchir, croyant ou espérant sans doute ne jamais avoir à Lui rendre directement des comptes pour tous les méfaits qu'ils commettent, un autre psaume (94- 8:11) répond par ces paroles sans appel :  

Faites attention, stupides gens ! Insensés, quand aurez-vous du bon sens ? Celui qui a planté l’oreille n’entendrait-il pas ? Celui qui a formé l’œil ne regarderait-il pas ? Celui qui corrige les nations ne réprimanderait-il pas, lui qui enseigne la connaissance aux humains ? L’Éternel connaît les pensées des humains ! Elles sont vaines !

La Bible appelle les Croyants à une autre attitude :

Celle du Christ Jésus, Lui-même de condition Divine, mais qui a justement franchi cette distance apparemment incommensurable pour venir habiter auprès des hommes et les ramener vers le Père Eternel grâce à Son Oeuvre Unique de Médiateur.

S'il y a une preuve parfaite du fait que Dieu s'intéresse au sort des hommes, de chaque homme ou de chaque femme qu'Il a créé, c'est justement en la personne de Son Fils Bien-Aimé qu'Il a envoyé sur la terre pour cette Mission Unique.

Au second chapitre de sa lettre aux Chrétiens de la ville de Philippes, l'apôtre Paul écrit :

Ayez en vous la pensée qui était en Christ-Jésus, lui dont la condition était celle de Dieu, il n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, en prenant la condition d’esclave, en devenant semblable aux hommes; après s’être trouvé dans la situation d’un homme, il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

Amen,

 

 

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Foi&Vie Réformées

 

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14 juin 2019 5 14 /06 /juin /2019 17:03
Le sacrifice des enfants : une réalité contemporaine
LE SACRIFICE DES ENFANTS :
UNE RÉALITÉ CONTEMPORAINE

par Cornelis Van Dam

En Israël, à l’époque de l’Anti­quité, le sacrifice d’enfants était une réalité de la religion païenne. À tel point que Dieu a bien averti son peuple, avant même leur entrée dans la terre  promise,  de  n’avoir rien à faire avec cette pratique (Lév. 18:21; 20:2-5)Qu’on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu! (Deut. 18:10). Israël s’est cependant livré à cette horrible pratique, aussi bien dans le royaume du nord que dans celui du sud. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Dieu a envoyé son peuple en exil (2 Rois 16:3, 17:17; 21:6; Éz. 16:20-21).

Aujourd’hui, l’idée de sacri­fier son propre enfant en l’étendant sur l’autel d’un dieu païen tel que Molok nous répugne. On peut cependant se demander si le danger et la tentation de perpétrer des sacrifices d’enfants n’augmente pas à mesure que notre société se dé­tache de ses amarres chrétiennes et s’en va à la dérive. Encore aujour­d’hui, des enfants sont sacrifiés aux idoles que chacun se forge.

On peut bien sûr montrer du doigt la pratique musulmane des crimes d’honneur. Ce sujet a été propulsé au premier plan de la scène publique lorsque, en janvier 2012, un tribunal canadien a pro­noncé la condamnation d’un père et de son fils pour meurtre au premier degré, ces deux hommes ayant tué quatre femmes au nom de l’hon­neur familial. Trois filles adoles­centes et la première épouse du père ont été sacrifiées au nom de “l’honneur”. La réalité, c’est que les crimes d’honneur se produisent plus souvent que ce qui nous est rapporté dans les médias.

Il n’est toutefois pas néces­saire de fouiller les pratiques de l’islam radical pour trouver des sacrifices d’enfants. La société occidentale pratique ce genre de sacrifices beaucoup plus qu’on ne le reconnaît généralement. Le crime si répandu de l’avortement nous vient immédiatement à l’esprit.

L’avortement

Des parallèles peuvent être établis entre l’ancienne pratique païenne du sacrifice d’enfants au dieu Molok et la pratique actuelle de l’avortement. Dans les deux cas, l’enfant est offert à un faux dieu, que ce soit avant ou après sa naissance. De nos jours, les avortements sont souvent pratiqués sur l’autel de l’idéologie féministe sécularisée, qui prône le droit d’une personne de décider ce qu’elle peut faire avec son corps (niant le fait que l’enfant à naître est un être humain à part entière). Ou encore, l’avortement peut être effectué par soumission au dieu de la commodi­té; un sacrifice humain est perpétré au nom d’une vie de facilité, car les enfants sont souvent considérés une nuisance. D’après une étude, un cinquième de tous les avortements pratiqués aux États-Unis ont été effectués sur des femmes mariées, souvent à l’instigation du mari.

Un autre parallèle peut être établi avec l’ancien sacrifice païen d’en­fants en ce que les avortements sont souvent effectués pour cacher une grossesse inattendue à la suite d’une relation sexuelle illi­cite. Autrefois, en Israël, la prosti­tution avec  les  prêtres de Molok faisait vraisemblablement partie du culte offert à ce dieu. Le fait que le sacrifice d’enfants soit mentionné dans la liste de péchés sexuels en Lévitique 18 le laisse supposer. De plus, la prostitution sacrée était très répandue parmi les religions païennes du Moyen Orient ancien. Dans le cas du culte à Molok, les enfants nés de la prostitution reli­gieuse ont pu être donnés   aux prêtres pour être sacrifiés, façon commode de se débarrasser du fruit non désiré des relations sexu­elles dans le cadre des pratiques religieuses. Aujourd’hui, nombreux sont  ceux  ou  celles  qui  ont des relations sexuelles en dehors du mariage sans trop s’inquiéter de la possibilité d’une grossesse, puisque l’avortement est perçu comme une solution facile.

Il existe des preuves que la pratique de l’avortement a servi à exercer un contrôle de popu­lation dans  l’Antiquité également. Plus spécifiquement, les sacrifices d’enfants pratiqués par l’élite so­ciale aidaient à restreindre la di­mension de leurs familles, ce qui aidait à consolider leur richesse, puisque celle-ci était alors partagée parmi un moins grand nombre de personnes à la génération suivante. Chez les moins nantis, la pratique des sacrifices d’enfants les aidait à tenir la pauvreté en échec. Aujour­d’hui, en Chine, l’avortement sert à exercer le contrôle de la population. Une énorme pression sociale et fi­nancière est exercée sur les couples ayant déjà un enfant pour que la mère se fasse avorter dans le cas de grossesses subséquentes. Des avortements sont souvent imposés à des mères non consentantes.

S’il existe un parallèle entre les avortements à notre époque et les sacrifices d’enfants perpétrés dans l’Antiquité, les enfants d’au­jourd’hui sont privés, d’une autre manière, beaucoup plus insidieuse, de l’essence même de leur vie. On touche à la vie des enfants là où, souvent, ils sont le plus vulnérables. Ils sont en danger, plus que jamais auparavant, de perdre leur enfance et leur innocence sexuelle.

Des enfants dérobés de leur innocence et de leur vie

La tendance actuelle dans le domaine de l’éducation est d’inclure toujours davantage une soi-disant éducation sexuelle dès l’école primaire. Au nom du politiquement correct et de l’inclusivité, de plus en plus de livres pour enfants dépeignent des “familles” homosexuelles et autres thèmes homosexuels comme étant tout à fait normaux. En ce moment le gouvernement libéral de l’Ontario met en l’avant un projet de loi qui, au nom de la lutte contre l’intimidation (une cause louable), fait la promotion d’une éducation sexuelle radicale. Si ce projet de loi est accepté sous sa forme actuelle, les écoles seront forcées de promouvoir la tolérance sexuelle en soutenant les élèves qui voudront organiser des activités telles que des clubs homosexuels.

Gaver les jeunes enfants et les adolescents de ce genre d’édu­cation sexuelle et tenter de façon­ner leur esprit selon des impératifs moraux non bibliques et contre nature est extrêmement déroutant pour ces enfants et ces adolescents. En fait, puisque les enfants et les adoles­cents sont à un âge très vulnérable, il est immoral et irresponsable de la part des éducateurs d’enseigner ceux qui leur sont confiés à remettre en question leur identité sexuelle, comme si le sexe que Dieu leur a donné n’était pas un indicateur suffisant de ce qu’il attend d’eux.

L’identité sexuelle d’une per­sonne est cruciale pour sa perception d’elle-même. En un sens, cette identité est au cœur même de la vie d’une personne. Comme le démon­tre le Dr Miriam Grossman dans son livre publié en 2009 et intitulé “Vous enseignez quoi à mes enfants ?”, la toute dernière chose dont les enfants et les adolescents ont besoin, c’est ce que les soi-disant experts en éducation sexuelle exigent en ce moment. À l’âge qu’ils ont, ils ne sont pas en mesure de réfléchir de manière rationnelle à ce domaine de la vie. La science neurologique a démontré que le cerveau d’un adolescent n’est pas capable de prendre des décisions rationnelles responsables en ce qui a trait à la sexualité, car son sys­tème cérébral n’a pas fini de se dé­velopper. Les mauvaises décisions que prennent les adolescents dans le domaine de la sexualité ne sont pas dues à un manque d’informa­tion, mais plutôt à un manque de jugement. Seuls le temps et le pro­cessus de maturation permettent de dépasser ces limites. Encourager les enfants à la liberté et au péché sexuels met leur santé en danger et peut-être même leur vie. Ce qui constitue le moteur d’une grande partie de l’éducation sexuelle ac­tuelle, c’est une idéologie erronée et   non   pas   une   science   avisée. Miriam Grossman l’établit clairement dans son étude.

Des jeunes vies sont ruinées. Des enfants et des adolescents sont dérobés de leur innocence sexuelle et de la possibilité de grandir d’une façon normale, leur permettant de prendre progressivement cons­cience de leur identité de garçon ou de fille sans être précipités dans des problèmes d’adultes. On sacrifie les enfants sur l’autel de la cause homosexuelle et du politiquement correct. Les conséquences pour les élèves peuvent être dévastatrices pour le reste de leur vie. Au fond, c’est une forme de sacrifice d’en­fants. Une idéologie perverse cherche à restructurer la société et à l’orienter dans une nouvelle direction, sans se soucier du prix que les enfants doivent payer.

Nos enfants offerts en sacrifice vivant

Les enfants sont un grand don de Dieu. Leurs vies doivent être protégées, nourries et formées avec soin. Les parents Chrétiens peuvent être des instruments entre les mains de Dieu, qu’il utilise non seulement pour leur donner la vie physique, mais aussi pour leur donner la vie en Jésus-Christ. Les pères et les mères croyants peuvent offrir leurs enfants à Dieu en sacri­fice vivant de reconnaissance, tout comme ils s’offrent eux-mêmes à Dieu pour le servir. Le Seigneur notre Dieu nous exhorte par le biais de l’apôtre Paul à nous offrir nous-mêmes comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, agré­able et parfait. (Romains 12:1-2, voir 1 Pierre 2:5).

Offrir des sacrifices vivants – vivants pour Dieu -, voilà le défi que nous avons reçu en ce qui concerne nos enfants, au cœur même de la culture de mort et de faillite morale néopaïenne dans laquelle nous vivons. Nous pouvons chercher à élever nos enfants dans la crainte du Seigneur en les offrant à Celui qui donne la vie, aussi bien la vie présente que la vie éternelle. Quel merveilleux privilège rehaussant la vie !

Cornelis Van Dam Reformed Protestant
Cornelis Van Dam

 

 

 

 

 

Bible
Huguenot Cross

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Foi & Vie Réformées

Traduit et réimprimé avec permission, Cornelis Van Dam, “Child Sacrifice”, Clarion, Vol. 61, No. 12, 8 juin 2012, p. 302-304. L’auteur, à la retraite, était professeur d’Ancien Testament au Canadian Reformed Theological Seminary (Séminaire théologique réformé canadien) à Hamilton dans l’Ontario.

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19 avril 2019 5 19 /04 /avril /2019 12:15
Un édifice indestructible

Un joyau architectural des XIIe et XIIIe siècles, un chef-d’œuvre de l’art gothique, un monument connu, visité et célébré internationalement vient de subir des dégâts considérables à la suite de l’incendie ayant ravagé sa charpente composée de poutres provenant de quelque mille trois cents chênes, certains vieux de mille deux cents ans, provoquant stupeur et consternation non seulement à Paris ou en France, mais dans le monde entier.

Pour quiconque, comme moi-même, a grandi à l’ombre de ces tours séculaires, a assisté à nombre de concerts d’orgue offerts au public chaque dimanche après-midi, y a amené tous les amis étrangers de passage à Paris l’ayant pris pour guide d’un jour, ayant même une fois été réquisitionné pour faire circuler dans la cathédrale un sac de collecte destiné à couvrir les frais d’une maîtrise d’enfants venue de très loin pour une tournée de concerts en Europe (!), le choc et la tristesse ne sont pas petits.

Les remarques suivantes ne sont donc en rien la marque d’une indifférence ou d’un regard hautain porté sur un désastre culturel de cette nature.

Mais puisqu’une cathédrale chrétienne est censée être tout d’abord un lieu de culte adressé à celui dont prennent le nom ceux qui l’ont érigée, nom qui les identifie, ne faut-il pas donner en priorité la parole à celui-là même qui porta ce nom le tout premier, afin d’entendre de sa bouche quel culte au juste il a enseigné à rendre à Dieu - en esprit et en vérité - à tous ceux qui prononcent son nom et se réclament de lui ?  A moins bien sûr que la valeur artistique d’un édifice cultuel, la splendeur des objets qu'on y exhibe, le poids de sa présence au cœur de l’histoire d’une ville et d’un pays n’aient depuis longtemps relégué l’objet unique et essentiel de ce culte dans les cendres de l’histoire, le remplaçant progressivement par une adoration tournée sur soi-même, ses priorités, sa mémoire culturelle, sur ce que l’on croit relever du domaine spirituel, en dépit de l’enseignement du Maître, voire directement contre sa parole.   Car entre la religion du Christ et la religion civile dont Notre-Dame de Paris est finalement devenue le symbole, à l’image des trois temples païens du Capitole du temps de Rome, le gouffre n’est pas mince.  Ces derniers jours, nombre de commentateurs n'ont pas manqué de souligner l'ambivalence symbolique du monument niché au coeur de l'île de la Cité, de Paris, de la France.

Lors de son ministère terrestre, Jésus ne fit pas mystère à ses disciples que la plus belle construction ornant alors Jérusalem, en l’occurrence le temple dont la reconstruction depuis le roi Hérode le Grand avait pris quarante-six ans, n’était pas destinée à subsister à toujours, aussi glorieuse qu’elle ait alors pu paraître aux yeux de ces mêmes disciples, non seulement en tant que lieu centralisé du culte rendu à Yahweh, mais également comme sujet de grande fierté nationale.  Au chapitre 13 de l’évangile selon Marc (voir aussi Matthieu 24 et Luc 21), nous les trouvons en train d’admirer l’architecture du temple et de vouloir faire partager leur admiration à Jésus : Lorsque Jésus sortit du temple, un de ses disciples lui dit : Maître, regarde, quelles pierres, quelles constructions ! Et, comme bien souvent lors de ces échanges, ce n’est rien de moins qu’une douche froide que leur administre le Maître : Vois-tu ces grandes constructions ?  Il ne restera pierre sur pierre qui ne soit renversé.  Quarante-six ans de travaux « pharaoniques » soudainement réduits à néant ?  Mais dans quelles conditions et sous quelle force destructrice ? Incendie accidentel ? Attentat criminel ? Nouvelle dévastation militaire par une armée étrangère? Jésus, interrogé à ce propos par ses disciples, ira avec eux s’asseoir en face du temple, sur le mont des Oliviers, pour les enseigner à nouveau.  Il ne s’agit pas pour lui de donner une description détaillée des circonstances de la destruction du temple en question, mais plutôt d’en offrir la clé spirituelle et eschatologique. Avec sa venue sur terre, avec l’accomplissement de son ministère dans les jours et semaines à venir, le temple de Jérusalem n’aura plus de raison d’être, car ce qu’il annonçait symboliquement depuis presque mille ans sous ses différentes formes, reconstructions après destructions, est en passe de revêtir sa forme finale:  celle d’un édifice spirituel indestructible, greffé sur le corps incorruptible  de celui qui, mis à mort dans l’humiliation totale, engloutira une fois pour toutes cette mort par son sacrifice volontaire accompli au bénéfice de tous ceux qui vivront par la foi dans sa mort et sa résurrection (« Tout est accompli », dernière parole de Jésus dans Jean 19 :30).

Avec ou sans bâtiment cultuel, sous un baobab ou à l’intérieur de la plus belle construction pouvant accueillir des centaines de fidèles – peu importe – « là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » enseignait-il à ses disciples (Matthieu 18:20).  En promettant sa présence au milieu de ceux qui seraient assemblés en son nom (c’est-à-dire en aucun autre nom que le sien, mais également avec tout ce qu’implique ce nom!) il signifiait la présence d’une église-assemblée (ekklesia) à laquelle  rien ne manque pour être qualifiée comme telle.

Cet édifice spirituel et indestructible, c’est aussi ce dont fera état l’apôtre Pierre soi-même dans sa première lettre adressée à tous les chrétiens dispersés à travers les provinces orientales de l’empire romain en raison d’une sévère persécution (1 Pierre 2:1-8).  Ces circonstances éprouvantes de persécution et de dispersion rendent d’autant plus puissante et éloquente la qualification de cette maison spirituelle qui s’édifie sur un seul fondement légitime. Édifice dont la pierre d’angle, vivante et indestructible n’est autre que Jésus-Christ, souligne l’apôtre:

Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu, et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce , en vue d’offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ; car il y a dans l’Écriture [Ésaïe 40 :6-8]: «Voici je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse », et « celui qui croit en elle ne sera pas confondu » [Esaïe 28 :16].  L’honneur est donc pour vous qui croyez.  Mais pour les incrédules, « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale, celle de l’angle [psaume 118 :22] et une pierre d’achoppement et un rocher de scandale (Ésaïe 8 :14-15).

La citation du psaume 118 en particulier montre que la division entre ceux qui ne seront pas tournés en confusion et ceux qui achopperont, ne s’opère pas sur le fait que certains construisent et d’autres nom, mais sur le fait que certains le font sur la seule pierre choisie et précieuse, Jésus-Christ, tandis que d’autres l’ont rejetée d’une manière ou d’une autre, la remplaçant par une pierre angulaire de leur choix, censée soutenir la structure architectonique de tout l’édifice.  Quelle que soit alors la dimension et les canons esthétiques du bâtiment reposant sur une telle pierre, quelle que soit son ancienneté, cet édifice n’évitera à personne d’achopper sur la pierre vivante, choisie et précieuse devant Dieu.

Sans doute convient-il de méditer avec urgence sur cet enseignement apostolique à propos de la signification spirituelle du mot Église, alors qu’un culte national semble unir autour d’une cathédrale dévastée toutes sortes de chapelles idéologiques érigées sur des pierres d’angle qui prétendent cimenter l’unité d’un pays ravagé par ses divisions internes.  Car cette religion civile constituée de diverses synthèses et syncrétismes, qui débloque d’énormes crédits pour reconstruire les parties annihilées de Notre Dame de Paris, le tout augmenté par des promesses de dons s’élevant déjà à plusieurs centaines de millions d’euros en provenance des plus grands groupes financiers ou encore d’individus bien intentionnés, ne résistera pas davantage au feu dévastateur qui l’attend, que la vieille charpente et la flèche effondrées ne l’ont pu sous l’effet des flammes terribles. Comme tous les autres cultes voués à des divinités inventées par des hommes en quête de sens et d’unité avant elle, cette religion civile achoppe sur le rocher du Christ.  Il lui paraît toujours scandaleux, car il met à nu son incapacité à donner à l’existence un sens plénier et à ses adeptes une espérance vivante.

En particulier, pour tous ceux qui se nomment « chrétiens », pour leurs hiérarques (toutes chapelles confondues du reste), qui se sont pourtant laissé happer ou hypnotiser par cette religion d’État gravitant autour de l’Homme auto-divinisé et son nombril, méritant dès lors eux aussi le qualificatif d’ incrédules utilisé par l’apôtre Pierre dans sa lettre (2:7), combien grande sera la chute consécutive à l’achoppement sur la pierre choisie et précieuse devant Dieu qu’auront rejetée ceux qui croyaient bâtir ou rebâtir.  Car il ne s’agit pas tant ici d’un désastre culturel ou artistique auquel il est bon an mal an possible de remédier comme on l’a fait tant de fois dans le passé, mais bien d’un désastre spirituel irrémédiable…

 

 

Eric Kayayan, Foi & Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

 

 

 

 

Bible
Croix Huguenote

 

 

 

 

Source : Foi & Vie Réformées

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16 mars 2019 6 16 /03 /mars /2019 18:29
Gnose et androgynie : la récurrence de l'idéal transgenre

Au vu d’une actualité en pleine mutation sociétale depuis quelques décennies, il semble que notre culture occidentale soit marquée par la recherche d’un Royaume supérieur, purifié des « scories » de la nature, et dans lequel les initiés ne sauraient pénétrer qu’à condition d’avoir aboli les frontières du genre afin de les remodeler à leur guise.  Le grand bazar du genre est désormais ouvert à toute heure du jour et de la nuit, et l’on semble davantage se soucier de fixer les règles du marchandage autour des fripes qu’il exhibe, que de la qualité et la durabilité des produits qu’on y trouve.

Une question de diversité et de mémoire

A l’heure du mariage pour tous, des gay parades, de l’activisme-lobbyisme LGBTQ (XYZ…) tous azimuts, mais également d’une culture et pratique homosexuelle - voire pédérastique - dominante au sein de certaines structures ecclésiastiques, la question à la fois ontologique et anthropologique consistant à définir ce qu’est la diversité devrait pourtant se poser à nos contemporains avec la plus grande urgence. Une combinatoire sexuelle sans repères ni limites renforce-t-elle ou abolit-elle la diversité?  Comment se définit une diversité qui structure les êtres humains et leur permet de se renouveler dans une histoire et une mémoire communes au lieu de les réduire en individualités autonomes dans et par leurs désirs, jusqu’à les y dissoudre en dernier lieu?  Quelles fonctions remplissent la différence et la génération dans cette diversité ? En constituent-elle des éléments à la fois fondateurs et structurants?  Savoir dans toute la mesure du possible qui sont mes parents, assimiler et assumer mon ascendance personnelle avec les blessures que cela peut entraîner, ne fait-il pas aussi partie de ce qui définit mon identité en tant que personne sexuée sur le plan chromosomique dès ma conception?

A cet égard, la transmission de la mémoire individuelle en tant que vecteur indispensable d’une connaissance de soi-même se trouve remise en question par le biais de la dissolution programmée juridiquement en amont par un État devenu ingénieur anthropologique, de l’identification entre parent biologique et parent porteur, entre parent porteur et parent éducateur. Le rapport à la fois personnel et communautaire vis-à-vis de l’histoire (diachronique donc) est aujourd’hui en passe d’être bouleversé par une séparation voire une confrontation à venir entre deux classes d’êtres humains, issues de diversités irréconciliables car évoluant sans un socle commun minimal pour qu’une telle séparation puisse être évitée.  Aujourd’hui, l’une de ces deux classes est déjà condamnée avant même sa naissance à une amnésie génétique programmée.

Un autre champ d’aliénation s’ouvre devant nous, parmi bien d’autres: celui du rapport des êtres humains aux espèces animales, dont on estime traditionnellement et au moins en principe qu’elles devraient faire l’objet de soin et de préservation, dans le respect éthique d’une écosphère indispensable à notre propre survie.  Or comment, à terme, les espèces animales pourraient-elles se soustraire à l’ubris humaine cherchant à les refaçonner sur un modèle compatible avec son propre désir de redéfinition sexuelle, modèle donnant toute satisfaction à cette ubris ? Quelle forme de communication et d’analogie porteuse de sens entre humains et animaux serait encore possible dans un univers rendu disparate par l’idéologie de la page blanche existentialiste, libérée de tout de ce qui est désormais considéré comme déterminisme insupportable?

Le problème de la page blanche sur laquelle l’individu issu des Lumières prétend aujourd’hui tracer l’intégralité de sa propre histoire, est qu’elle risque fort de demeurer blanche pour toujours, car écrite à l’aide d’une encre soluble qui n’a pas vocation à se fixer sur un support destiné lui aussi à disparaître de toutes manières.

Antithèse biblique et prévalence gnostique

Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait c’est ce qui se fera. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.  S’il y a un domaine auquel s’applique aujourd’hui cette remarque désabusée de l’Écclésiaste (1:9), c’est bien celui de l’abolition du genre, de l’éradication de la nécessaire différence sexuelle dans sa non moins nécessaire complémentarité.  Certes entre le fantasme et sa tentative contemporaine de réalisation à l’aide d’outils technologiques sophistiqués, il y a un pas important qui n’est pas franchi automatiquement.  Mais, tant que la mémoire des âges qui nous ont précédés n’a pas encore été totalement abolie, tant que la tabula rasa n’est pas devenue l’unique rapport que nous ayons à nous-mêmes, il est opportun d’opérer un retour en arrière sur les pages noircies d’encre de notre histoire, dont nous avons certainement beaucoup à apprendre.

La dernière religion de l’Antiquité sur le plan chronologique, le Gnosticisme, illustre parfaitement la permanence d’un fantasme qu’elle a elle-même hérité de divers courants philosophico-religieux, tels le mythe de l’androgyne raconté par Aristophane dans Le Banquet de Platon. J’ai décrit de manière plus détaillée les sources et expressions du Gnosticisme antique, ainsi qu’un certain nombre de ses avatars contemporains dans mon livre Rendre Compte de l’Espérance.[1]

Par-delà ses différentes moutures, parfois difficiles à distinguer les unes des autres, la religion gnostique contient des éléments communs facilement observables.  Le rejet de la différence sexuelle – fût-elle nécessairement complémentaire – en fait partie.  Car tout ce qui n’est pas strictement un (au sens moniste du terme) est intrinsèquement mauvais aux yeux des gnostiques antiques: selon eux la diversité ne peut être comprise que comme rupture d’un ordre parfait et immuable.  L’apparition de la diversité est interprétée comme source d’opposition, de conflit et donc de souffrance induite par une matérialité physique déchue (l’ex-istence elle-même ne signifiant rien d’autre que la sortie de l’istence, une chute loin de l’Être qui ne se meut ni ne change et se confond avec le Bien suprême dans la stricte mesure où il demeure tel).  De fait, pour les gnostiques, cette matérialité-là ainsi que la matière diversifiée qui en découle n’est pas l’oeuvre de l’esprit divin ultime, l’éoninconnaissable élevé au-dessus de toute autre sphère spirituelle.  La diversité est le fruit du mauvais Démiurge, fils dégénéré de Sophia (sagesse), elle-même une des émanations de l’éon suprême.

A l’aube du christianisme, l’apôtre Paul dénonce déjà «les discours vains et creux de la soi-disant connaissance » (tès pseudonumou gnoseôs) à la fin de sa première lettre à Timothée (6:20), invitant celui-ci à les éviter car  « quelques-uns, pour en avoir fait profession, ont manqué le but en ce qui concerne la foi ».  Il a d’ailleurs donné un aperçu de ces discours vains et profanes un peu plus haut dans sa lettre, annonçant la tournure qu’ils ne manqueraient pas de prendre (4:1-4): différentes formes d’ascétisme niant la grâce générale du Créateur dans son œuvre, prescriptions visant à s’extirper de la matière ou des structures créationnelles divines telles que le mariage, comme si elles étaient mauvaises en soi et que s’en détacher ou y renoncer permettait une ascension spirituelle personnelle:

Mais l’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, quelques-uns abandonneront la foi, pour s’attacher à des doctrines de démons, par l’hypocrisie de faux discoureurs marqués au fer rouge dans leur propre conscience.  Ils prescrivent de ne pas se marier et de s’abstenir d’aliments que Dieu a créés pour qu’ils soient pris avec actions de grâce parceux qui sont fidèles et qui connaissent la vérité.  Or, tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à rejeter, pourvu qu’on le prenne avec actions de grâces, car tout est sanctifié par la Parole de Dieu et la prière.

 Certes nous n’en sommes pas encore ici aux formes développées du Gnosticisme telles qu’elles apparaîtront à partir du second et surtout du troisième siècle, mais leur thématique spiritualiste visant à déprécier la matière créée en prononçant des interdits particuliers y est bien en germe.  Ne nous y trompons pas cependant: l’avertissement de Paul ne représente en aucun cas un plaidoyer en faveur d’une liberté antinomienne (au sens d’opposition à la loi divine en ce qui concerne l’usage sanctifié des biens dont le Créateur/Législateur a pourvu l’humanité), puisqu’il est question de jouir de ce que Dieu a créé « avec actions de grâces », c’est-à-dire dans la pleine reconnaissance de celui qui en est le dispensateur.  Si tout est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière, ce ne peut être pour Paul qu’en accord avec le plan du Créateur révélé par sa parole et magnifié dans la prière, sous peine évidemment de prendre son nom en vain dans de telles actions de grâces.

Or, il suffira d’un siècle à peine pour qu’on voie le discours gnostique surgir avec force dans des écrits se réclamant du christianisme, au risque d’en contredire l’essence même. La présence du mythe de l’androgyne est évidente dans l’évangile gnostique de Thomas (vers 145-160 ap. J-C), qu’il est vraiment piquant de voir mis de nos jours sur le même plan que les évangiles canoniques  - ceux du Nouveau Testament - alors que sa teneur sotériologique leur est dès les premières lignes si radicalement opposée, avec son appel à une spiritualité initiatique réservée à un groupe de privilégiés, sur le modèle supposé de Thomas « Didyme » : pseudo jumeau du Christ (en tout cas appelé à se confondre avec lui dans une gémellité spirituelle) il aurait reçu de ce dernier une révélation particulière dans les quelque cent dix-huit logia (paroles) que constitue cet écrit qui n’est attesté nulle part avant le milieu du second siècle.

Concernant ce mythe de l’androgyne, je reprends ici quelques éléments du chapitre précité sur le Gnosticisme dans Rendre Compte de l’Espérance:

La Rédemption passe par l’abolition ici-bas de la différence sexuelle. Ainsi, nous lisons dans l’évangile de Thomas (logion 27):

Jésus leur dit : ‘Lorsque vous ferez les deux êtres un, et que vous ferez le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas!  Et si vous faites le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle (…) alors vous entrerez dans le [Royaume]!

 La dernière des logia de l’évangile de Thomas (118) est encore plus explicite à cet égard:

Simon Pierre leur dit: ‘Que Marie [Madeleine] sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie!” – Jésus dit: “Voici; moi je l’attirerai pour que je la rende mâle afin qu’elle aussi devienne un esprit vivant pareil à vous, les mâles! Car toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des cieux.’

Nous avons ici un refus de la sexualité telle qu’elle est présentée dans les deux premiers chapitres de la Genèse, et même introduite comme premier marqueur de l’ imago Dei dès 1:26-28.  Dans les écrits valentiniens, le démiurge fou et mauvais Yaldabaoth étant, semble-t-il, passé de l’état d’androgyne à celui de mâle, et la divinité suprême étant androgyne, les Gnostiques se doivent de rechercher l’androgynie.  D’après le père de l’Église Hippolyte de Rome (début du troisième siècle), la secte des Naasènes croyait que l’Adam originel était un hermaphrodite.  Les Naasènes s’appuyaient sur la parole de Saint Paul dans sa lettre aux églises de Galatie (3:28) pour faire valoir leur vision strictement moniste: Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Christ-Jésus.  Le contexte sotériologique dans lequel Paul fait cette déclaration n’est pas pris en compte par les Gnostiques, mais il devient tout à fait clair pour peu qu’on lise le passage qui précède immédiatement le verset 28: Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ-Jésus: vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.  Pour Paul, l’unité en Christ n’abolit pas ladistinction entre homme et femme, elle la transcende et lui redonne tout son sens, ce qui n’est certes pas la même chose. Le passage le plus éloquent dans ses épîtres à cet égard demeure le cinquième chapitre de sa lettre aux chrétiens d’Éphèse, qui établit une analogie profonde –  un mystère – liant la relation entre les maris et leurs épouses d’une part,  avec celle qui unit Jésus-Christ à son Église d’autre part. A l’opposé, d’un côté l’androgynie gnostique se manifeste par l’absorption d’un genre par un autre (le féminin par le masculin dans l’évangile de Thomas), mais d’un autre, une forme supérieure de divinité, Sophia (la Sagesse), reprend sévèrement le Démiurge, éon masculin inférieur, dont elle est d’ailleurs la mère.

Dans le traité Trimorphic Protennoia (rédigé autour de 200 après Jésus-Christ), voici ce que déclare celle qui se présente dès le début comme ‘Protennoia, la Pensée qui demeure dans la Lumière’:

 Je suis androgyne.  Je suis à la fois Mère et Père, puisque je copule avec moi-même.  Je copule avec moi-même et avec ceux qui m’aiment, et c’est à travers moi seule que le Tout se maintient fermement.  Je suis les entrailles qui donnent forme au Tout en donnant naissance à la lumière qui brille dans la splendeur.  Je suis l’Eon à venir.  Je suis l’accomplissement du Tout, c’est-à-dire Meirothea, la gloire de la Mère.  Je projette le Son de la Voix dans les oreilles de ceux qui me connaissent.  Et je vous invite vers la Lumière exaltée, parfaite (…).

Un mouvement de balancier entre deux extrêmes caractérise les sectes gnostiques  en ce qui concerne leur vision de la sexualité: d’une part des pratiques débridées afin de se prouver qu’au fond, cet aspect bassement matériel de l’existence n’a aucune importance sur le plan spirituel et peut donc être traité avec l’indifférence qu’il mérite, tout excès n’ayant aucune incidence sur le salut de l’initié (on retrouvera mutatis mutandis cet aspect au sein de certaines sectes anabaptistes au seizième siècle); d’autre part un ascétisme forcené pour – là aussi – se prouver qu’on est parvenu à se détacher de la réalité matérielle jusqu’à s’élever au rang de pneumatikos, c’est-à-dire de créature véritablement spirituelle, contrairement aux sarkikoi, ces hommes et femmes irrécupérables livrés à la chair et incapables de s’élever au-dessus de leur vile et basse condition.

Que ces influences aient fait leur chemin au sein de l’Église médiévale par le biais de la pénétration dans la culture populaire des évangiles gnostiques tardifs (dont témoigne une abondante et fascinante iconographie), ne fait pas de doute, comme l’annonçait l’avertissement prophétique de Paul en 1 Timothée 4. La distinction sacramentelle quasi ontologique intervenue au fil du temps entre laïcs et prêtres (prêtres non plus au sens néo-testamentaire de presbuteroi-anciens, mais au sens de iereus-sacrificateur - office repris de l’Ancien Testament sans considérer son accomplissement final en Christ, ce qui est pourtant le thème central de la lettre aux Hébreux dans le Nouveau Testament), n’est pas exempte de la distinction que les Gnostiques établissaient, si ce n’est entre sarkikoi et pneumatikoi, du moins entre ces derniers et une classe intermédiaire, celles des psuchikoi (les « psychiques »): êtres certes doués d’une âme et donc de sentiments plus élevés que les sarkikoi, mais encore incapables de s’élever au niveau du pneumatikos initié dans laspirale ascensionnelle qui le fait rejoindre l’éon suprême. Ce n’est pourtant pas sans raison qu’un peu auparavant dans sa première lettre à Timothée, non seulement l’apôtre du Christ n’interdisait pas aux episkopoi (évêques, intendants) de se marier, mais bien plutôt il faisait du mariage hétérosexuel et monogame une des caractéristiques de l’évêque « irréprochable » (3:2).

Un nouvel œcuménisme autour de l’idéal androgyne ?

Le grand retour de l’androgyne dans la culture occidentale s’effectuera cependant  au moment de la Renaissance florentine et  - faut-il s’en étonner - néo-platonicienne, avec Marsile Ficin, comme en témoignent éloquemment un certain nombre de dessins ou tableaux de Léonard de Vinci, tels l’Ange Incarné ou son Saint Jean-Baptiste (sans doute son dernier tableau), tous deux androgynes pointant de l’index un ciel destiné aux hermaphrodites.  La figure féminisée du disciple Jean à la droite de Jésus dans la fameuse fresque de la Cène (L’Ultima Cena) réalisée par Vinci de 1495 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, offre une belle illustration du motif transgenre comme vecteur d’ascension spirituelle.  Certes, il s’agit ici non pas d’un passage de l’état de femelle à celui de mâle comme dans l’évangile de Thomas, mais de l’inverse, afin d’illustrer une proximité spirituelle avec le Christ supérieure à celle des autres disciples.  Il n’en demeure pas moins que cette migration transgenre est tout aussi porteuse d’une dimension symbolique gémellaire, accentuée qu’elle est par le regard baissé des deux personnages dans une expression de communion mystique étrangère à celle des autres disciples.

Que de telles formes d’art sacré aient trouvé leur place sans aucun complexe dans des lieux cultuels ou des sanctuaires chrétiens, témoigne de la facilité avec laquelle les influences néo-platoniciennes voire néo-gnostiques ont su imprégner un christianisme adonné aux synthèses avec un paganisme qu’il était censé avoir vaincu et remplacé.  A l’aune de cette histoire, faut-il donc être surpris qu’il en soit toujours de même aujourd’hui ?  La puissante convergence d’un idéal néopaïen magnifié par les médias occidentaux avec une cléricature en ouverte mutation doctrinale et éthique (qui dépasse d’ailleurs les frontières de telle ou telle chapelle), semble augurer de l’émergence d’une nouvelle forme d’œcuménisme humaniste, désormais centré sur le partage de l’identité androgyne.

Est-il exagéré de penser que l’effacement progressif de ce qui est de plus en plus dénoncé comme séparant les individus, à savoir la barrière du genre, est tout à la fois le révélateur et le catalyseur de l’abolition de toutes les différences entre les êtres humains (comme le sous-entend l’Equality Act récemment présenté devant le Congrès américain)? Et que, selon le nouvel œcuménisme et son credo, tous devraient désormais travailler à cette abolition afin de faire émerger la nouvelle humanité destinée dès ici-bas à régner en paix sur le monde? L’élite des initiés, pointant le doigt vers ce Royaume alternatif à la suite de Vinci, nous invite à la suivre sur ce chemin si ce n’est idéal, du moins idéel.  Protennoia, l’androgyne à la fois mère et père, parent 1 et parent 2, lance à nouveau son appel pressant à venir copuler avec elle: Et je vous invite vers la Lumière exaltée, parfaite.  Une Lumière réfractée par les couleurs d’un arc-en-ciel qui n’évoque plus le Déluge, mais pense au contraire l’avoir exorcisé à jamais.

 

Eric Kayayan, Foi & Vie Réformées

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

[1] L’Age d’Homme, collection Messages, 2009, pages 301-336. https://www.foietviereformees.org/le-retour-du-gnosticisme/

 

 

Bible

 

Croix Huguenote

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Foi&Vie Réformées

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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 19:54
L’écuménicité qui traverse les siècles

Le thème des croyants décédés en ayant laissé un héritage de foi est courant dans le Nouveau Testament : il se réfère en particulier aux apôtres que Jésus a envoyés pour annoncer l’Évangile. Il s’agit à la fois de leurs paroles et de l’exemple qu’ils ont laissé. Dans bien des cas, cela signifie qu’ils n’ont pas hésité à renoncer à leur propre vie pour la cause de celui qu’ils considéraient comme leur Roi et Sauveur, Jésus-Christ. Qu’on pense par exemple au disciple Jacques, le frère de l’évangéliste Jean, mis à mort vers l’an 44 de notre ère par le roi Hérode Agrippa 1 (livre des Actes, chapitre 12).

Quelle est donc la place aujourd’hui, dans la vie des croyants, de ceux qui les ont précédés dans la foi, et de l’exemple qu’ils leur ont laissé ? Dans la lettre aux Hébreux, l’auteur conclut par ces mots un long passage sur les témoins de la foi, depuis Abel, tué par son frère Caïn (12:1-2):

C’est pourquoi, nous aussi qui sommes entourés d’une telle foule de témoins, débarrassons-nous de tout fardeau, et du péché qui nous cerne si facilement de tous côtés, et courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée. Gardons les yeux fixés sur Jésus, qui nous a ouvert le chemin de la foi et qui la porte à la perfection.

Le chapitre 11, portant sur les héros de la foi dans l’Ancien Testament, a eu pour but de fortifier les lecteurs dans l’ancrage de leur foi et de leur espérance en Jésus-Christ. Du reste déjà dans l’Ancien Testament le peuple d’Israël se voit à maintes reprises enjoint de prêter attention aux paroles qui ont été prononcées dans le passé par un chef spirituel, en particulier Moïse.

Dieu rassemble pour lui un peuple au cours des siècles. A travers l’histoire, il adresse sa parole à un peuple particulier, Israël. Ensuite, à un moment de l’histoire humaine qu’Il a déterminé de toute éternité, Il envoie dans une chair semblable à celle des humains son Fils éternel, qui appartient lui aussi au peuple d’Israël puisqu’il est descendant du roi David. A travers l’histoire de l’Église, en commençant par les apôtres, Dieu envoie des messagers, des serviteurs, des conducteurs spirituels à son peuple. Dans son plan de salut il existe une continuité pour les hommes, et cette continuité doit être saisie, gardée et retransmise par chaque génération de croyants. Et ce que tu as entendu de moi, écrit Paul à Timothée (2 Timothée 2 :2) confie-le à des hommes fidèles, qui soient capables de l’enseigner aussi à d’autres.

C’est dans le même sens que l’auteur de l’épitre aux Hébreux exhorte ses lecteurs comme suit : Souvenez-vous de vos anciens conducteurs qui vous ont annoncé la Parole de Dieu; considérez l’issue de leur vie et imitez leur foi (Hébreux 13:7). Les croyants d’aujourd’hui vivent donc dans une communion fraternelle avec ceux du passé, dans un véritable lien écuménique, et pas seulement avec la génération présente des autres croyants répandus dans le monde.

Dans le même ordre d’idées, la promesse faite tout à la fin du Nouveau Testament, au livre de l’Apocalypse (22:5) est une reprise de celle qui et déjà révélée au prophète Daniel dans l’Ancien Testament (7:27) et comprend tous ceux que Dieu s’est choisis et acquis pour lui:

Le royaume, la domination et la grandeur de tous les royaumes qui sont sous le ciel seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son royaume est un royaume éternel, et tous les dominateurs le serviront et lui obéiront.

Cette promesse indique qu’un jour tous les croyants serons réunis dans le royaume éternel de Dieu, et gouverneront la terre avec le Chef de la nouvelle Création.

Quel enseignement en tirer pour la vie quotidienne dans la foi ? Très souvent l’on cherche à oublier l’héritage précieux du passé, comme s’il n’avait aucune importance. On se soucie tant du présent et du futur qu’on pense que les générations passées n’ont rien à nous transmettre. Il en va dans l’Église comme dans le reste d’une société volontairement amnésique, qui enfouit la mémoire de son histoire, celle qui l’a pourtant façonnée. C’est le syndrome de la « génération spontanée » si typique du postmodernisme contemporain. Ou bien encore, cette mémoire est déformée, elle est incapable de replacer dans une perspective équilibrée les éléments qu’elle retient. Elle peut être aussi très sélective…

Si l’on considère les grands textes que l’Église a produit et qui expriment sa foi, ils nous viennent de très loin dans l’histoire. Ainsi le Symbole dit des Apôtres, qui est utilisé comme confession de foi commune par l’ensemble des chrétiens de par le monde, date du premier millénaire après Jésus-Christ. Le fait qu’il soit une confession de foi exprimée universellement encore aujourd’hui, montre bien que l’héritage de nos conducteurs dans la foi a de l’importance, même si nous ne savons pas dans le détail qui sont ceux qui l’ont rédigé – il s’est constitué petit à petit, à partir d’une confession commune de base des chrétiens primitifs. Que de trésors, que de pierres précieuses dans l’héritage des « hommes fidèles qui ont été capables d’enseigner aussi à d’autres » le message apostolique. L’ignorer volontairement serait faire preuve d’orgueil spirituel, car c’est le Seigneur qui envoie à chaque génération les uns et les autres pour annoncer et maintenir le dépôt, la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes (Jude 3). Il s’est servi et continue à se servir d’eux. Et il continuera de le faire jusqu’à la fin des temps.

Il faut se souvenir que l’Église, qui est le corps spirituel du Christ, est composée de toutes les générations de croyants depuis le premier couple humain. Or, ce corps, qui grandit à travers les âges, au fur et à mesure que s’y ajoutent de nouvelles générations de croyants, vit de la même et unique source: celui qui est sa tête, Jésus-Christ ! La promesse originelle adressée au premier couple humain, selon laquelle leur ennemi serait un jour totalement défait, sa tête étant écrasée par la descendance de la femme, cette promesse est adressée à toutes les générations de croyants, y compris la génération présente. Le combat contre le serpent dure toujours, même si nous savons qu’au moment de la crucifixion de Jésus à Golgotha, il a été mortellement blessé, puisque Dieu y a opéré le salut de ses élus par le sacrifice volontaire de son Fils unique. Il y a donc unité de toutes les générations de croyants dans la même foi et dans la même espérance, celle du salut provenant exclusivement de Dieu, de sa Grâce. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à l’apôtre Paul, au quatrième chapitre de sa lettre aux Éphésiens (4:4-5):

Il y a un seul corps et un seul Esprit; de même Dieu vous a appelés à une seule espérance lorsqu’il vous a fait venir à lui. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui règne sur tous qui agit par tous et qui est en tous.

Notre ancrage dans la foi chrétienne est donc caractérisé par notre participation à un même corps, auquel ceux qui nous ont précédés dans la foi appartiennent eux aussi.

De plus, ce qui a été dit au verset 7 du chapitre 13 de la lettre aux Hébreux (souvenez-vous de vos anciens conducteurs qui vous ont annoncé la Parole de Dieu; considérez l’issue de leur vie et imitez leur foi) repose sur un fondement qui ne devrait jamais être oublié, et qui est énoncé au verset suivant : Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui, et pour toujours. Jésus Christ ne change pas selon les circonstances historiques, les modes, les idéologies du moment. Il demeure le même pour toute éternité.  Exposer fidèlement ce qui concerne son oeuvre et sa personne, ce n’est donc pas (en tout cas cela ne devrait jamais être) prétendre y ajouter quoi que ce soit, comme si cette oeuvre avait besoin d’être complétée par des hommes et qu’elle n’était pas parfaite en elle-même.  C’est simplement la faire connaître, mettre en lumière sa signification, sa portée et son application pour la vie des croyants.

C’est en lui que sont sauvées toutes les générations de croyants du passé depuis Adam et Ève, c’est en lui qu’elles sont unies en un même corps vivant. Il arrive souvent aujourd’hui qu’on tente de reconstruire une image de Jésus qui est plus une figure mythique que le Jésus des évangiles (ce dernier étant le seul du reste qui soit véritablement attesté dans l’histoire, que cela plaise ou non): figure mythique en ce sens qu’elle est une image déformée pour être adaptée aux idées du moment. On entend souvent dire qu’il faut adapter le message de l’Évangile à chaque contexte, à chaque situation, pour le rendre plus vivant, plus actuel. Mais l’Écriture Sainte, la Parole vivante de Dieu, n’a pas à être adaptée, elle doit simplement être appliquée avec discernement à chaque contexte, afin d’apporter la lumière de l’Évangile sur chaque situation particulière.

Dans cette optique les croyants ont beaucoup à apprendre de l’exemple qu’ont laissé les générations passées de chrétiens qui ont été fidèles à la Parole divine: comment ont-ils vécu l’Évangile, comment ont-ils persévéré, à quel genre d’épreuves ont-ils été soumis? Bien sûr aussi, quelles fautes ou erreurs ont-ils commises qui ne devraient pas être répétées ? Déjà ici le Nouveau Testament révèle des lignes de fracture, des errements coupables, tout en les exposant pour ce qu’ils sont, en y apportant toute la clarté nécessaire. Qu’on se remémore simplement ce qu’écrit Paul au second chapitre de sa lettre aux Galates, lorsqu’il est question de l’hypocrisie qui s’est emparée de l’apôtre Pierre et de Barnabas par rapport aux « parti des circoncis » (Galates 2:11-14). Un croyant prétendant fonder sa foi sur l’Écriture Sainte imaginerait-il un instant pouvoir se dispenser de l’enseignement vital des deux lettres de Pierre dans le Nouveau Testament, et de l’exemple de sa foi, à cause de ce regrettable épisode ? En déchirerait-il les pages car elles proviennent, après tout, de quelqu’un qui s’est révélé être d’abord un renégat par rapport à Jésus-Christ, puis un hypocrite lors de l’épisode d’Antioche avec Paul ?

Tous ces exemples, cette foi vivante des morts, permettent de se situer dans la continuité de la ligne que Dieu trace pour le peuple de son Alliance, et dans l’unité de son plan de salut à travers chaque chaînon. Car ce plan de salut trouve sa source et son but uniquement dans la personne de Jésus Christ qui et le même hier, aujourd’hui et pour toujours.

 

Amen,

 

 

Révérend Eric Kayayan,

Eric Kayayan,

Pasteur Protestant Réformé

 

 

 

 

 

 

 

 

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